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Et, sur la Corne d’Or par la nuit étoilée,
Mon caïque eût fendu le flot pareil aux cieux ;
Et ma femme pour tous jalousement voilée
N’eût montré qu’à moi seul les astres de ses yeux…

Ainsi j’aurais vécu dans ma demeure close,
Mêlant à la senteur en feu du tabac fin
Le parfum du santal et l’odeur de la rose,
Sous quelque vieux Sultan, au nom sonore et saint.

Et dans le cimetière où se pressent les tombes,
Harmonieusement et du haut des cyprès,
La voix des rossignols et la voix des colombes
Auraient bercé, là-bas, mon sommeil sans regrets.

Mais qu’importe sa vie à qui peut par son rêve
Disposer de l’espace et disposer du temps ?
Qu’importe, puisque j’ai, d’une illusion brève,
Satisfait à jamais mon désir d’un instant,

Et qu’à travers Stamboul et dans la verte Brousse
J’ai ressenti l’attrait du pays musulman,
Où s’allonge, le soir, sur la terre âpre et douce
L’ombre du cyprès noir et du minaret blanc !


LE CLOITRE


Fruit de l’heure, éclatant dans un bronze trop mûr,
La grappe de midi s’égrène au campanile,
Et le soleil vineux ruisselle sur le mur !

L’été brûle alentour la campagne et la ville ;
Le marbre qui la pave est, au talon, du feu,
Tandis que cuit au toit la braise de la tuile

Le ciel est presque sombre à force d’être bleu,
Une tristesse ardente accable le silence
Où les cloches d’or lourd se taisent peu à peu.