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pas la même chose d’aller jusqu’au bout de la protection, comme M. Chamberlain, ou de s’arrêter à moitié route, comme M. Balfour. Ce dernier a donné sa définition du protectionnisme. « Une politique protectionniste, a-t-il dit, est celle qui vise à soutenir ou à créer des industries nationales par l’élévation des prix à l’intérieur. » M. Balfour affirme, très sincèrement à coup sûr, que tel n’est pas son but ; s’il l’atteint, c’est par un ricochet involontaire ; il se propose seulement d’user de représailles contre les pays qui font la guerre aux produits anglais, et on sait qu’il exclut de toute surélévation de droits les produits alimentaires. M. Chamberlain va plus loin ; il frappe les produits alimentaires, comme les autres ; seulement il dit : « Quand je propose un droit modéré de 2 shillings par quarter (2 quintaux 24 kilogrammes) sur les céréales, et de 5 pour 100 sur les autres produits agricoles, ce n’est pas une taxe, c’est un droit de péage. » Merveilleuse distinction ! M. Chamberlain croit-il sérieusement qu’on change les choses en changeant les mots ? Non, sans doute ; toutefois, en partant de la définition de M. Balfour, il est aussi sincère que lui lorsqu’il affirme à son tour n’avoir pas pour objet de soutenir ou de créer des industries nationales par l’élévation des prix à l’intérieur. Il veut seulement resserrer le tissu de l’Empire qu’il trouve trop lâche. Mais on peut être protectionniste, comme philosophe, sans le savoir. MM. Balfour et Chamberlain, l’œil ardemment fixé sur leur but, se font d’égales illusions sur le caractère des moyens qu’ils emploient pour l’atteindre. Ni l’un ni l’autre n’ont d’ailleurs répondu aux objections de lord Rosebery. La seule chose qui ressorte clairement de leurs discours est qu’ils sont encore moins d’accord que lorsque M. Chamberlain est sorti du ministère. Leurs intentions, leurs pensées sont différentes, et, à mesure que le temps passe, la divergence s’accuse entre eux. Est-il possible de la faire disparaître ? L’Angleterre, y compris ses colonies, est, en somme, un pays d’opinion : si une opinion s’en dégageait avec force, il faudrait bien que tout le monde s’inclinât devant elle. M. Balfour a donc annoncé un projet qui, dans son esprit, devait donner satisfaction à tout le monde, et non seulement à M. Chamberlain, mais encore à lord Rosebery. Il consiste, dans la réunion d’une conférence qui comprendrait des délégués de la métropole et de toutes les colonies, sans oublier l’Inde, que M. Chamberlain oublie toujours dans ses combinaisons. Cette conférence répondrait à deux questions : la première consisterait à savoir si les diverses parties de l’Empire désirent une union plus étroite, et la seconde à déterminer les moyens et les conditions de cette union. Alors, lord Rose-