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terre. Lord Rosebery a répondu que toutes ces manifestations manquaient de spontanéité ; qu’elles avaient été provoquées, et que, au surplus, elles ne constituaient nullement une offre concrète. « Nous savons, a-t-il à son tour écrit au Times, ce que, d’après le projet de M. Chamberlain, nous devons donner ; nous ne savons pas ce que nous devons obtenir en échange. Cela, il ne nous l’a jamais dit, et c’est l’essence même de la question. » Il est naturel, en effet, que les colonies, lorsqu’on leur offre un avantage, l’acceptent. Encore ne l’ont-elles pas accepté toutes, parce que, à côté de l’avantage apparent, quelques-unes ont aperçu la charge correspondante mal dissimulée. Toutefois cette charge n’a jamais été nettement établie, et lord Rosebery était parfaitement en droit de dire : « Nous mettons des droits de 5 à 10 pour 100 sur les produits manufacturés étrangers similaires de ceux que fournissent les colonies, et de deux shillings par quintal sur les céréales ; que nous donne-t-on, en retour ? » Aucune colonie ne s’en est encore expliquée. Cela étant, lord Rosebery a exprimé la crainte que le régime préconisé par M. Chamberlain, bien loin d’opérer comme un ciment, n’opérât comme un dissolvant entre la métropole et les colonies.

Ses questions sont restées sans réponse ; mais on annonçait que M. Chamberlain préparait un grand discours. L’avant-veille du jour où il devait le prononcer, M. Balfour s’est rendu à Edimbourg et il a pris le premier la parole. Voulait-il atténuer par avance l’effet du discours de son ancien collègue ? Voulait-il, ce qui est plus probable, remettre un peu d’union dans le parti auquel le nom d’unioniste convient si mal depuis quelque temps ? Voulait-il enfin, après l’avoir longtemps mûri, exposer lumineusement son propre programme ? Bien que son discours ait été très intéressant, M. Balfour n’a atteint complètement aucun de ces objets, et le dernier moins encore que les autres. Ce ministre péripatéticien, sagace à coup sûr, mais prudent, a encore plus l’art de réserver une partie de son opinion que de la livrer tout entière. Il a dit bien haut qu’il n’était pas protectionniste, et que, si le parti unioniste l’était, ou le devenait un jour, il en abandonnerait aussitôt la direction. Mais M. Chamberlain ne proteste-t-il pas, lui aussi, qu’il n’est pas protectionniste ? Peut-être ont-ils raison l’un et l’autre, en ce sens qu’ils ne sont pas protectionnistes dans leurs intentions initiales ; mais ils le sont devenus en fait tous les deux, entraînés par la logique de leurs préoccupations dominantes, et toute la différence entre eux n’est qu’une question de plus ou de moins. Cette question n’est d’ailleurs pas indifférente, tant s’en faut : ce n’est