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four n’étaient pas complètement d’accord, car, s’ils l’avaient été, le premier n’aurait pas abandonné son portefeuille ; et pourtant qu’ils l’étaient jusqu’à un certain point, puisque le second n’a pas cessé de le répéter. Mais jusqu’à quel point ? On le savait mal hier ; on ne le sait pas beaucoup mieux aujourd’hui. Pendant quelques mois, M. Chamberlain a organisé autour de ses idées une propagande effrénée. Discours, brochures, démarches de tous les genres, rien ne semblait pouvoir épuiser sa dévorante activité. Toutefois un moment est venu, où il a paru éprouver le besoin de se reposer ou de réfléchir un peu : il est parti pour l’É-gypte et, pendant quelques semaines, le repos qu’il y a pris, après l’avoir si bien gagné, s’est communiqué à son pays. La trêve ne pouvait pas être de longue durée. M. Chamberlain est revenu en Angleterre, toujours prêt à la lutte et mieux disposé que jamais à la soutenir. La bataille a immédiatement recommencé. On connaît le plan de M. Chamberlain, et nous nous garderons bien de l’exposer une fois de plus : il consiste essentiellement à créer une union douanière entre l’Angleterre et ses colonies, à l’avantage de ces dernières ou de quelques-unes d’entre elles, mais peut-être au détriment de la première, et certainement à celui du reste du monde.

Lord Rosebery, dans son discours de Lincoln, a exprimé plus que des doutes sur les mérites du projet de M. Chamberlain. Si les colonies, a-t-il dit, avaient pris l’initiative de proposer à l’Angleterre le régime économique cher à M. Chamberlain, ce serait là un fait qu’il conviendrait de tenir en grande considération. Lord Rosebery a même dit qu’il faudrait l’accueillir avec respect. La question devrait être mise très sérieusement à l’étude. Mais les colonies ont-elle pris cette initiative ? Point du tout. L’Angleterre seule, ou plutôt M. Chamberlain seul a fait toutes les avances, ce qui laisse beaucoup plus de liberté pour discuter et pour apprécier le système. Et lord Rosebery a un certain nombre d’objections à y opposer. Le côté impérialiste du plan le séduit moins qu’on n’aurait pu le croire, quand on se rappelle la crise d’impérialisme assez aiguë qu’il a traversée, il y a quelque temps : mais il paraît en être revenu. Quoi qu’il en soit, M. Chamberlain s’est senti atteint par le discours de Lincoln, et il a écrit une lettre au Times pour en contester les assertions. Il a rappelé toutes les manifestations que les colonies, ou du moins certaines d’entre elles, ont faites en faveur du régime douanier proposé par lui. Il en a conclu qu’on ne pouvait pas dire, avec lord Rosebery, qu’elles n’avaient pris aucune initiative et les avaient laissées toutes à l’Angle-