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Il ne restera ensuite que les difficultés inhérentes à la réorganisation administrative et militaire du Maroc ; mais, ne nous y trompons pas, elles sont immenses. Jamais peut-être, dans notre politique coloniale, nous n’en avons rencontré de plus lourdes. Si l’affaire était à son début, et si nous avions pleine liberté d’esprit pour en discuter l’actif et le passif éventuels, nous aurions à présenter des observations qui, aujourd’hui, seraient tardives et inopportunes. Défions-nous également de l’optimisme et du pessimisme exagérés : le premier nous ferait commettre des fautes, le second nous empêcherait de rien faire. Tout en laissant la responsabilité première à ceux qui l’ont prise, tout en faisant nos réserves sur les parties de nos arrangemens que nous ne connaissons pas, tout en signalant les écueils qui nous attendent, il faut bien reconnaître qu’après avoir non seulement accepté, mais revendiqué pour nous exclusivement l’entreprise de procéder à l’éducation politique du Maroc, et après avoir conclu pour cela des arrangemens avec trois grandes puissances, nous sommes engagés. Tout ce qui peut nous faciliter notre tâche sera le bienvenu, et il est hors de doute que notre arrangement avec l’Espagne est dans ce cas : qu’il soit donc le bienvenu, et qu’il reste entre les Espagnols et nous le gage d’une confiance mutuelle qu’aucun nuage ne saurait troubler.

Lord Rosebery, M. Balfour, M. Chamberlain, ont prononcé, le premier il y a environ trois semaines, à Lincoln, le second il y a quel-jours, à Edimbourg, et le troisième, le surlendemain, à Luton, des discours à travers lesquels l’opinion cherche à s’orienter. Quelles sont actuellement les opinions économiques de ces trois hommes politiques, et plus particulièrement des deux derniers ? Il est à craindre que leurs paroles n’aient laissé encore quelques obscurités sur la question.

Du discours de lord Rosebery il y aurait beaucoup à dire, car il traite de plus d’un sujet, mais nous nous enfermons pour le moment dans un seul. D’ailleurs, depuis que M. Chamberlain a lancé, l’année dernière, ce qu’on a appelé sa « bombe économique, » l’Angleterre n’a pas sérieusement songé à autre chose. On ne saurait contester à M. Chamberlain le mérite d’être un grand remueur d’idées et un grand excitateur d’intelligences. Tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit, a le privilège de secouer fortement les esprits et de les mettre en mouvement. Il a donné sa démission de ministre tout-puissant des Colonies, pour avoir plus de liberté dans la défense de son nouveau programme : un pareil acte devait assurément frapper les imaginations. On a su, dès ce moment, que M. Chamberlain et M. Bal-