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ment en travers de nos opérations ; mais, sans prendre une attitude nettement hostile, il leur aurait été facile de nous susciter mille obstacles que nous aurions dû tourner ou briser, et le jour serait venu où nous n’aurions pu y réussir que par la force. À supposer donc que la pénétration pacifique soit réalisable, elle ne pouvait être réalisée que dans les conditions indiquées par M. le ministre des Affaires étrangères. Il fallait, non seulement procéder par ententes directes avec un certain nombre de puissances, mais encore donner à chacune d’elles la pleine confiance que la poursuite de nos intérêts ne nous amènerait pas à sacrifier les siens. Alors seulement nous aurions, qu’on nous passe le mot, nos coudées franches au Maroc. Après l’Italie, nous avons désintéressé l’Angleterre, après l’Angleterre l’Espagne, et nous avons sans doute inspiré à celle-ci le sentiment que c’est encore auprès de la France, en s’adressant amicalement à son amitié, qu’elle trouvera les plus sûres garanties de ses droits. À côté des deux gouvernemens, il est légitime de rendre justice à leurs représentans diplomatiques. Le but n’aurait probablement pas été atteint sans l’esprit toujours conciliant et sensé dont M. le marquis del Muni à Paris, et M. Jules Cambon à Madrid n’ont pas cessé de donner des preuves ; c’est à eux que revient, pour une très grande partie, le mérite du succès.

Maintenant, nous voici au second acte : ce ne sera pas le dernier. On annonce que notre ministre à Tanger, M. Saint-René Taillandier, qui est actuellement à Paris, rejoindra son poste au premier jour et se rendra très prochainement à Fez où sa présence est désirée. M. Saint-René Taillandier a déjà réussi à dissiper les premières préventions qui s’étaient produites dans l’esprit du Maghzen à la nouvelle de notre arrangement du 8 avril avec l’Angleterre. On s’est demandé à Fez, avec émotion, avec anxiété, ce que cela signifiait. On voyait bien que l’Angleterre donnait carte blanche à la France ; mais quels étaient les projets de celle-ci ? quel était son but ? quels procédés comptait-elle employer ? Il fallait rassurer le Sultan sur nos intentions à son égard, et c’est ce qu’il faut encore, et toujours, car, avec un souverain naturellement défiant et un pays qui l’est davantage, le résultat ne peut pas être atteint du premier coup. Il ne s’agit pas d’imposer au Sultan un traité, comme nous l’avons fait ailleurs où nous avions d’autres desseins, mais de lui faire accepter notre collaboration intime et quotidienne. L’attitude des puissances à notre égard est de nature à influer sur la sienne. Il ne peut rien faire sans nous, et nous ne voulons rien faire sans lui : dans ces conditions, on doit s’entendre.