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des autres puissances. Il reste maintenant à aborder la question en elle-même. Quant au secret qui plane sur nos engagemens, la Constitution l’autorise. L’article 9 de la loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics énumère les traités qui ne deviennent définitifs qu’après avoir été votés par les deux Chambres, et celui dont il s’agit en ce moment ne rentre pas dans cette catégorie : il rentre dans celle des traités dont le Président de la République « donne connaissance aux Chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’État le permettent. » Et qui est juge de cette opportunité ? Le gouvernement soûl. Entre le gouvernement et les Chambres, c’est affaire de confiance.

Le ministère était donc dans son droit strict en concluant avec l’Espagne une convention secrète. Il n’en était pas de même de notre arrangement avec l’Angleterre, ou du moins de certaines de ses parties, notamment de celles qui se rapportent à Terre-Neuve et à des modifications territoriales en Afrique : aussi l’arrangement anglo-français, qui a déjà été soumis au Parlement britannique, devra-t-il l’être au nôtre, et le plus tôt sera le mieux. On n’a pas oublié qu’il y était fait mention expresse de celui que nous devions conclure ultérieurement avec l’Espagne. L’Angleterre, en se mettant d’accord avec nous sur le Maroc, tenait à témoigner une dernière fois à l’Espagne l’intérêt qu’elle prenait à ses intérêts : mais, quand bien même l’Angleterre n’aurait pas conservé ces sentimens à l’Espagne, nos dispositions à l’égard de celle-ci auraient été exactement les mêmes. Voilà de longues années que nous considérons l’Espagne comme une amie. Nous avons été pour elle de bons voisins en Europe, et, partout ailleurs, nous lui avons rendu cordialement service chaque fois que l’occasion s’en est présentée. Il ne pouvait donc entrer dans notre esprit de méconnaître ses intérêts au Maroc ; mais, au moment où nous entamions une politique plus active au Maroc, il était naturel et légitime de sa part qu’elle désirât s’en expliquer avec nous. Elle possède quelques petits territoires sur la côte méditerranéenne du Maroc ; un nombre relativement considérable de ses nationaux habitent ce pays où ils apportent du travail ; enfin, il faut bien le dire, à côté des intérêts concrets qu’elle y a réellement, une longue tradition historique l’a habituée à considérer certains territoires marocains comme plus spécialement dévolus à son influence, dans un avenir qui restait d’ailleurs indéterminé. Ce sont là des faits dont nous devions tenir compte. Notre amitié sincère pour l’Espagne nous y inclinait spontanément, et l’idée de la voir associée un jour à notre