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au jugement d’un écrivain illustre d’outre-Manche, aurait considérablement affaibli notre esprit politique. Nous, bornons-nous à constater. M. Combes, avec un sérieux imperturbable, prêche à ses prônes « ce régime calomnié » qui, sous lui et grâce à lui, « répond à la calomnie par des bienfaits » et qui « tend à subordonner l’intérêt de chacun à l’intérêt de tous. » MM. Vallé, Chaumié, Trouillot, Bérard surenchérissent. M. Maruéjouls lui-même (aviez-vous oublié M. Maruéjouls ? ), bien que fatigué et chagrin, prend ses pipeaux. C’est une bergerie ; et, dans ce genre, pourvu que l’on soit « sensible, » on n’est pas tenu d’être vrai.

Ils disent : la Constitution ; mais il n’y a plus de Constitution, il y a trois morceaux de papier déchirés, sur lesquels achèvent de jaunir quelques lignes toutes raturées. Ils disent : le Parlement ; mais il n’y a plus de Parlement que pour la forme, deux Chambres d’enregistrement qui reçoivent leurs délibérations et jusqu’à leurs ordres du jour tout faits et toutes faites du convent maçonnique, du Congrès radical, ou de quelque fédération socialiste. Ils disent : le Gouvernement ; mais il n’y a plus de gouvernement : la Délégation permanente des gauches, des hommes masqués, des anonymes, X, Y et Z, trois ou quatre dictatures occultes l’ont accaparé. Ils disent : le Suffrage universel ; mais le suffrage universel est faussé, bridé, capté. Ils disent : le Peuple ; mais ils ne reconnaissent que leur parti, leur groupe, eux et les leurs. « Le peuple, remarquait M. Edmond Scherer en 1883, est le grand calembour de l’histoire[1]. » C’est, en tout cas, un des grands mensonges de la politique et des politiciens. De tout cet ensemble ils disent : le « Régime parlementaire, » et là-dessus, à tort et à travers, on loue, on blâme, on vitupère et on « panégyrise ; » mais ce n’est ni le régime parlementaire, ni un régime, c’est une mystification ; l’italien est plus expressif : une turlupinature.

C’est aussi une exploitation ; — et l’explication promise, simple, nette et péremptoire, est ici. Arrière le mensonge de la parole publique ! Si les ministères se maintiennent et s’éternisent, quoique ce ne soient pas des gouvernemens et qu’ils ne remplissent aucune des fonctions essentielles d’un gouvernement, c’est qu’ils sont autre chose, dont ceux qui peuvent les maintenir et les éterniser s’accommodent aussi bien ou mieux. La

  1. La Démocratie et la France. Études, par Edmond Schérer, sénateur.