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eux comme pour lui, c’est la grande affaire… Et pourquoi, au fait, le changeraient-ils ? Où donc trouveraient-ils une plus docile servilité ? Prenez garde que la maçonnerie est au fond de tout le gouvernement, et que c’est là le fond de tout le gouvernement maçonnique : hisser aux postes en vue, aux présidences, de bonnes gens, médiocres à l’épreuve, qui ne sont qu’autant qu’on les fait être, dont on est plus porté à rire qu’à s’inquiéter, et à l’abri desquels le vrai chef, ni vu ni connu, prépare, amène, et assène ses coups…

Cependant, voici qu’en cette session parlementaire 1903-1904, il s’est produit un phénomène inattendu : le Moi de M. Combes a paru se développer. Il a fini par croire qu’il existe. Il lui est arrivé, toutes proportions gardées et dans un autre genre, la même aventure qu’au maréchal de Moltke. Ces deux stratèges se sont sinon ignorés, du moins contenus, faute de pouvoir déployer leurs talens, jusqu’aux environs de la soixante-dixième année. On se rappelle la scène tragique, chez Bismarck, le soir de la dépêche d’Ems ; Moltke soudain debout, se frappant du poing la poitrine : « Ah ! s’il m’est donné de conduire nos soldats dans une telle guerre, que le Diable emporte, aussitôt après, cette vieille carcasse ! » A soixante-dix ans, lui aussi, M. Emile Combes, — maire de Pons, sénateur et conseiller général de la Charente-Inférieure, docteur en médecine, docteur ès lettres, quasiment docteur en théologie, et qui, muni de tant de diplômes, avait depuis longtemps conscience de « faire véritablement honneur à la représentation de son département, » — M. Emile Combes brûlait de s’en aller en guerre. Le voilà parti, plus rien ne l’arrête. Il n’emploie plus que des termes militaires : « Quand nous avons pris le pouvoir, nous avons trouvé la France envahie et à demi conquise par les ordres religieux. Notre premier soin a été de refouler les envahisseurs au-delà des frontières[1]. » — « Ah ! s’il m’est donné de conduire nos soldats… » c’est-à-dire le Bloc !… Et il est tout étonné que « le Diable n’emporte » pas, « aussitôt après, cette vieille carcasse ! » Il est tout étonné, en libre penseur dont la libre pensée n’est pas très tranquille, de n’avoir pas encore subi les effets du courroux céleste, et il en plaisante comme les peureux chantent pour se donner du cœur :

  1. Cette citation et toutes celles qui suivront sont extraites du discours prononcé par M. le président du Conseil à Auxerre, le dimanche 4 septembre, qui est la dernière expression publique et officielle de la pensée gouvernementale.