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de temps à autre il convierait les spectateurs d’en bas. Le prince et moi ne demandons pas mieux ; mais comment venir jusqu’à votre tour ? Vous n’auriez tout gagné que si vous pouviez nous faire comprendre que toute vraie science, toute pénétration dans la nature, toute législation, toute constitution sociale, même toute histoire, est l’œuvre d’une révélation divine et ne peut venir que de là.


Mais Gentz est bien convaincu que Millier ne prouvera rien, et que, pour faire régner Dieu dans la mesure où il sied qu’il règne, les expédiens bureaucratiques de la Sainte-Alliance vaudront mieux que les apostoliques discours d’un philosophe incompris.

Il y a chez ce philosophe, pourtant, une logique qui déconcerte Gentz. Müller, de temps à autre, s’essaie à dénuder, d’une main brutale, les racines de l’arbre hétérogène qu’est la Sainte-Alliance ; il les voit fragiles, il le dit, et parle, lui catholique, comme le plus acharné des radicaux. Gentz, aussitôt, de se plaindre amèrement. « Vous êtes un idéaliste, vous faites, vous poétisez, vous construisez un monde, qu’on ne trouve pas hors de vous. » Et une autre fois :


Vous parlez en des termes qui ébranlent le droit de propriété, et par lesquels, quoique poussé par des motifs tout différens, vous travaillez, la main dans la main, avec les hommes de révolution. Des juges, pourtant bienveillans, ont dit : Que gagnons-nous avec des alliés qui, avec l’intention de nous éclairer, livrent contre nous à nos ennemis les armes les plus brillantes ? Vous connaissez le caractère juste, doux, généreux, du prince (Metternich). Il faisait à votre sujet des plaintes amères… La question n’est pas comment la société doit se former pour l’avenir d’après un plan meilleur, plus agréable à Dieu ; notre seule affaire est et doit être de la garder contre la dissolution prochaine dont la menacent des ennemis connus et déterminés… De l’abîme de la destruction, vous faites naître certaines formes nouvelles, très chimériques, qui vous seraient plus chères que tout le vieux fatras dont aucun jacobin ne peut parler avec plus de mépris que vous… Votre opposition a pris un caractère qui m’a fait trembler. Et que vous n’ayez pas provoqué d’infinis dommages (pour le présent au moins), cela tient seulement à ce fait, que peu de vos auditeurs et lecteurs savent comprendre ce que vous pensiez… Que, dans la situation où vous vous trouvez, lié à certaines conditions sociales et politiques, considéré par le Gouvernement autrichien comme un de ses appuis à l’étranger, par tous ceux qui défendent l’ordre ancien comme un puissant allié, vous ne fassiez rien de plus, depuis plusieurs années, que des dissertations théologiques ; que vous décriviez les États de telle façon qu’on ait besoin de la plus haute puissance d’abstraction pour ne pas vous tenir vous-même pour un réformateur