Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capitalistes et les propriétaires peuvent bien faire un sacrifice… » Et il vote une réquisition de 20 millions[1].


VII

Si l’on cherche les inspirateurs de ces mesures, qui toutes sont prises par un consentement unanime, on les discerne distincts et adverses : les unes sont l’œuvre des bourgeois, les autres des ouvriers. Si révolutionnaires qu’ils fussent, les bourgeois du Comité, étrangers par l’éducation et les ressources aux soucis du pain quotidien, ne songeaient pas à transformer la société, mais à la dominer. Par cela même que leur ambition était d’orgueil, ils tenaient à la grandeur du territoire, à la renommée extérieure de la nation ; ils sentaient que leur honneur s’élevait ou s’abaissait avec elle, et c’est pourquoi, patriotes et humiliés des désastres militaires, ils désiraient délivrer de l’invasion et de la paix honteuse la France où ils voulaient l’autorité. Aussi la sollicitude de la défense fut-elle surtout inspirée et soutenue par les bourgeois du Comité, Hénon, Andrieux, Barodet, Varambon, Ferrouillat. Le même orgueil rêvait d’un pouvoir vaste par son étendue sur les esprits, comme par son étendue sur le territoire : or l’Église leur apparaissait comme une rivale d’influence, qui enfermait leur action et leurs droits dans d’humiliantes limites, et se réservait l’hégémonie suprême des peuples et des hommes. En la renversant, ils se faisaient place. Voilà pourquoi les mesures de haines religieuses sont toutes proposées par eux. C’est le médecin Durand qui déclare toute publicité du culte « une ostentation délictueuse et provocatrice. » C’est le secrétaire Garel qui fait exclure, comme suspects de cléricalisme, les administrateurs des hospices. C’est l’avocat Andrieux qui appelle au service militaire les séminaristes et les religieux en état de porter les armes. C’est le notaire Lentillon qui réclame la confiscation des biens ecclésiastiques. Les uns et les autres excitent d’autant plus les passions religieuses qu’ils craignent davantage d’être devancés par d’autres passions. Le regard famélique de la majorité prolétaire les épouvante : leur expérience des affaires leur dit l’inanité des formules sociales auxquelles on croit autour deux ; leur bon sens prévoit comme

  1. Comité de Salut, public, séance du 10 septembre.