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par la multiplicité de leurs prérogatives, se retrancher dans le gouvernement, régler tout de ce centre par une volonté unique, broyer, par l’action de ce mécanisme légal, les autres volontés au lieu de les convaincre, et, au nom de l’Etat, imposer tout à la France.

Ce régime n’avait jamais agréé aux ouvriers lyonnais. Prolétaires, ils se rendaient compte que les prolétaires n’étaient pas capables de diriger les multiples services de l’Etat, que la complexité de la tâche créait un monopole aux aptitudes des bourgeois, et donnerait à des privilégiés le moyen d’ajourner encore la révolution sociale. Lyonnais, ils supportaient avec jalousie de n’être jamais que les seconds en France, c’est-à-dire les premiers serviteurs de Paris. Leurs vieilles traditions d’indépendance étaient plus respectées par les règles de l’Internationale, où chaque groupe formait une société libre, et où le comité central se contentait d’être entre elles un lien : aussi, l’Internationale avait-elle trouvé à Lyon nombre d’adhérens, que leur affiliation rendait plus hostiles encore à l’unité jacobine. Internationaux, ils voulaient, par-dessus les barrières des Etats, établir des ententes et des autorités communes aux travailleurs de toute race : tout régime fondé sur la souveraineté de l’État avait pour étendue la nation, par suite exaltait l’idée de patrie, et, groupant races contre races, faisait obstacle aux pénétrations pacifiques. Ces ouvriers aspiraient à un nouveau principe de gouvernement : le besoin créa l’organe. Quelques jeunes Lyonnais, d’une certaine culture, s’étaient affiliés à l’Internationale : le plus actif et le plus intelligent s’appelait Albert Richard. Il aimait son indépendance jusqu’à la prévention contre tout pouvoir, et de tous le plus odieux à cette nature indocile devait être la pesante structure de l’omnipotence jacobine. Des séjours en Suisse, rendez-vous d’études révolutionnaires avec les internationaux de ce pays, montrèrent au jeune Lyonnais dans les institutions politiques d’un peuple le régime que l’Internationale avait établi : des Cantons, chacun souverain dans la patrie commune, déléguant ce qu’il voulait de sa souveraineté à l’intérêt commun, sans crainte d’être jamais contraint au nom de tous dans ses affaires propres. La leçon fut complétée par les rapports de ce groupe de jeunes théoriciens avec Bakounine, réfugié en Suisse, et qui, aussi engagé dans l’Internationale, cherchait la loi du monde nouveau. Ce révolté, pour qui penser était