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reconnaissait des frères, une sollicitude digne de cette parenté, surtout le trésor des espoirs immortels, plus nécessaire aux déshérités du présent ; et la foi, en apprenant aux malheureux la résignation volontaire, donna des siècles de stabilité à la paix sociale. Cette stabilité eut d’abord pour adversaire une fraction de la classe privilégiée, qui, non contente de ses avantages sociaux, était ambitieuse du pouvoir politique et le voulait enlever aux occupans. Le moyen était de soulever le populaire contre son sort, par suite contre ses maîtres. Mais la discipline catholique tenait cette multitude calme, même dans ses maux : pour changer ses maux en colères, il fallait donc amoindrir sa foi. Les agitateurs furent ainsi conduits à soutenir leur ambition politique par une lutte religieuse : pour se rendre maîtres de Lyon, ils fomentèrent, au XVIe siècle, la Réforme, au XVIIIe, l’incrédulité. Mais cette foule des ignorans et des pauvres, toutes les fois qu’elle s’ébranlait pour les suivre, menaçait de les devancer. A mesure qu’ils la détachaient du catholicisme, elle se détachait d’eux, et, dès qu’elle cessait de croire à la vie future, elle cessait de comprendre la vie présente : évanoui le monde idéal, où la patience des déshérités donnait au bonheur un rendez-vous lointain, ils ne renonçaient pas à être heureux, ils ne renonçaient qu’à attendre ; tous leurs désirs aux ailes coupées s’abattaient sur ces biens matériels ; et puisque la société spoliait par une incessante genèse d’inégalité ses membres les plus nombreux, ils songeaient à la solidarité de leur droit et de leur force pour fonder sur d’autres bases un état meilleur. Cette population si dissemblable de vœux, inégale de rang, pareille par le sérieux de l’esprit, avait le don commun de rattacher les intérêts à des doctrines. Le besoin d’associer leur avantage particulier au triomphe de leurs principes ajoutait sa sollicitation constante à leurs instincts de lutte. Là était le secret de leur énergie à vouloir et à agir. Ceux qui croient, en travaillant pour eux-mêmes, travailler aussi pour les autres, et voient dans leur propre avantage la petite part d’un bien plus vaste et plus durable, ennoblissent leur égoïsme d’une générosité, poursuivent leurs intérêts avec l’illusion de les oublier, et leurs désirs s’imposent à leur conscience avec l’autorité du devoir.


Ces discordes sortirent toutes ensemble et tout armées de la Révolution française. Elle suscita dans Lyon des énergies et des