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à celle de Marot, claire et spirituelle, mais courte et pauvre, de n’en pas admirer l’abondance, la richesse, la variété, la souplesse, le coloris, l’éclat, les sonorités héroïques, la grâce légère et voluptueuse.


La rose est l’honneur d’un pourpris
La rose est des fleurs la plus belle,
Et dessus toutes a le prix,
C’est pour cela que je l’appelle
La violette de Cypris.
La rose est le bouquet d’amour,
La rose est le jeu des Charités
La rose blanchit tout autour
Au matin, de perles petites
Qu’elle emprunte du point du jour
La rose est le parfum des Dieux,
La rose est l’honneur des pucelles
Qui leur sein beaucoup aiment mieux
Enrichir de roses nouvelles
Que d’un or tant soit précieux !
Est-il rien sans elle de beau ?
La rose embellit toutes choses,
Vénus de roses a la peau,
Et l’Aurore a les doigts de rose
Et le front le soleil nouveau…


Admirons encore le sonnet liminaire des Amours :


Qui voudra voir comme amour me surmonte
Comme il m’assaut, comme il se fait vainqueur,
Comme il r’enflamine et r’englace mon cœur,
Homme il se fait un honneur de ma honte,
Me vienne lire…


La belle langue ! aussi nette, je pense, que la langue de Marot ou de l’aimable reine de Navarre, mais combien plus précise ! et plus ferme ! et plus forte ! C’est la langue de Ronsard, et quiconque soit qui a écrit ces quatre vers, il est ce qu’on appelle un grand écrivain. Et, s’il ne l’est pas toujours, la faute en est donc moins à lui qu’à son temps, qui est le temps où la langue, dans son effort vers l’acquisition des qualités qui lui manquent, s’enrichit indistinctement de tout ce que le grec et le latin, l’italien et déjà l’espagnol, les parlers provinciaux, les vocabulaires