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On a souvent besoin d’un lexique pour le lire, et d’une connaissance de la mythologie qui ne correspond pas tant à une juste admiration qu’à une superstition un peu pédantesque de l’antiquité. Cette fâcheuse erreur s’est introduite avec Ronsard, et par lui, dans la notion du « classicisme, » que les anciens sont parfaits d’être les anciens, et qu’il n’y a pas lieu de leur en demander davantage.


Le critique ignorant, qui se croit bien habile,
Donnera sur ma joue un soufflet à Virgile !


Ainsi s’exprimera, bien longtemps après Ronsard, celui de nos grands poètes qu’on pourra justement appeler le « dernier des classiques ; » et, comme à Ronsard, l’argument lui paraîtra victorieux. « Un soufflet à Virgile ! » O poète ! Et pourquoi Virgile n’en aurait-il pas quelquefois mérité ? Mais vous ! si ce que vous imitez de lui, c’est ce qu’il a de plus éloigné de nos manières d’être, de sentir, ou de penser, pourquoi vous étonner que nous vous le reprochions ? Il y a bien du fatras dans l’héritage de l’antiquité, de la grecque surtout ; et, nous aurons occasion de le montrer quand nous résumerons l’œuvre de la Pléiade, ce n’est pas ce que Ronsard en a toujours le moins goûté. Nous n’irons cependant pas jusqu’à dire que, s’il est prolixe et verbeux, infini et souvent confus dans ses descriptions, — voyez a cet égard l’Hymne de Calays et Zéthés, — c’est que les Grecs, ses maîtres, sont de grands bavards. La prolixité de Ronsard procède plutôt d’une autre cause, qui est son habitude de chercher sa pensée la plume à la main. Il ne se contente pas de penser en écrivant, mais il faut qu’il écrive « pour penser ». Ses idées ne s’éclaircissent pour lui que par le moyen des mots, qui les expriment d’abord confusément, et elles ne deviennent nettes, elles n’arrivent à une claire conscience d’elles-mêmes, que par une suite de tâtonnemens ou d’approximations successives. Ronsard ne croit jamais avoir dit tout ce qu’il voulait dire, et il ne connaît de moyen de le dire que d’en accumuler les expressions diverses. C’est le secret de ses « variantes » et de ses « corrections, » qui n’ont pas souvent gâté son texte, mais qui ne l’ont pas toujours sensiblement amélioré.

D’autres défauts sont moins les siens que ceux de son temps, et, en particulier, tous ceux que l’on pourrait reprocher à sa langue. Il est difficile, quand on compare la langue de Ronsard