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rattache la satire au lyrisme. Mais nous n’avons pas assez dit qu’il avait également fixé le ton de l’Epître, de l’Épître familière, morale ou philosophique ; et vraiment, en comparaison des siennes, que l’on trouvera dans son Bocage royal ou dans le recueil de ses Élégies, celles de Marot ne sont que du « baladinage. » Cela tient-il peut-être à la différence de leur condition ? En tout cas, la poésie de Ronsard sent son gentilhomme, et nul doute qu’à cet égard, les contemporains n’aient guère moins été frappés de la noblesse que de la variété de son inspiration. Ayant et portant haut le sentiment de sa naissance ou de sa race, Ronsard a pensé d’une « façon non commune, » et conforme, pour ainsi parler, à la générosité du sang dont il croyait descendre. Libertine et souvent lascive, grossière même quelquefois en ce sens, — et encore quand il se fâche contre les « ministreaux » ou « prédicantereaux » de Genève, — son inspiration n’a jamais été ce qui s’appelle « vulgaire. » Sa langue a pu l’être, son inspiration ne l’est jamais. Et mêlant ensemble ainsi la fierté du poète à l’orgueil du gentilhomme, c’est le lieu d’observer qu’il n’a pas contribué médiocrement à relever en France la condition de l’homme de lettres.

Sans doute, il a eu ses défauts, que nous avons signalés au passage, et dont les moindres ne sont pas l’emphase, le pédantisme et la prolixité. Il enfle « ampoulément » la voix pour, souvent, ne rien dire ou peu de chose ; et la sonorité des mots lui fait à lui-même illusion sur le vide, ou, si l’on peut ainsi dire, le « creux » de sa pensée. Ne serait-ce pas ici l’un des dangers, si jamais on la réalisait, de la chimérique alliance de la musique et de la poésie ? La valeur des « sons » n’a peut-être que de lointains rapports avec le « sens » des mots. Il abuse aussi contre nous de son grec, ce qu’on lui pardonnerait, s’il nous en faisait toujours profiter comme de Parthénius de Nicée dans son Discours de l’Équité des vieux Gaulois ; mais Arate et Lycophron lui sont trop familiers, et des vers comme ceux-ci n’ont-ils pas l’air d’une parodie :


O Cuisse-né Bacchus, Mystique, Hyménéan,
Carpime, Evaste, Agnien, Manique, Lénéan,
Evie, Evoulien, Baladin, Solitaire,
Vengeur, Satyre, Roi, germe des Dieux et Père ;
Martial, Nomian, Cornu, Vieillard, Enfant,
Peau, Nyctélian !…