- Ce n’est pas une terre allemande ou gothique
- Ni une région tartare ni scythique,
- C’est celle où tu naquis, qui douce te reçut
- Alors qu’à Vézelay ta mère te conçut ;
- Celle qui t’a nourri et qui t’a fait apprendre
- La science et les arts dès ta jeunesse tendre,
- Pour lui faire service et pour en bien user,
- Et non, comme tu fais, afin d’en abuser.
- [Continuation du Discours des Misères de ce temps.]
On retrouve ici, plus viril et plus ferme, l’accent de cet Hymne à la France que Ronsard avait publié dès 1549, et qu’on dit qu’un scrupule d’artiste l’aurait empêché de faire entrer dans les dernières éditions de ses Œuvres. Le grand reproche qu’il adresse à ces « nouveaux réformateurs, » et leur crime à ses yeux, c’est d’avoir divisé la France contre elle-même, et, pour des raisons d’amour-propre ou d’ambition, bien plus que de religion, c’est d’avoir rompu l’unité de la patrie commune. Car, en la brisant, ils ne manquent pas seulement à leur premier devoir envers la terre qui les a « reçus » et « nourris, » mais encore ils trahissent la solidarité qui doit lier dans l’histoire les générations successives des fils d’un même sol ; ils détruisent l’œuvre des ancêtres ; et, eux-mêmes, ils l’offrent pour ainsi dire en proie aux convoitises de leurs rivaux héréditaires :
- Las ! faut-il, ô Destin, que le sceptre français
- Que le fier Allemand, l’Espagnol et l’Anglais
- N’a su jamais froisser, tombe sous la puissance
- Du vassal qui devrait lui rendre obéissance ?
- Sceptre qui fut jadis tant craint de toutes parts,
- Qui jadis envoya outre mer ses soldats
- Gagner la Palestine et toute l’Idumée,
- Tyr, Sidon, Antioche, et la ville nommée
- Du saint nom, où Jésus, en la croix attaché
- De son précieux sang lava notre péché !
- Sceptre qui fut jadis la terreur des barbares,
- Des Turcs, des Mamelucks, des Perses, des Tartares,
- Bref, par tout l’univers tant craint et redouté,
- Faut-il que par les siens lui-même soit dompté.
- [ Discours à Guillaume des Autels.]
On le voit clairement : l’idée de « patrie, » telle que nous l’entendons de nos jours, n’est pas en France une idée