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personne, les symboles ne sont plus des symboles, mais de savantes fictions qui servent d’enveloppe — « de coffre, » dit Ronsard — à des vérités abstraitement conçues. La poésie, sans cesser d’être elle-même, est devenue « philosophie. » Et il semble qu’ayant désormais tiré des anciens tout ce qu’ils contenaient d’enseignement pour lui, l’ambition de Ronsard ne soit plus que d’exprimer en des vers antiques des pensers qui ne soient bien qu’à lui.

On lit dans l’Hymne de la Mort :


Masures, désormais on ne peut inventer
Nul argument nouveau qui soit bon à chanter
Ou haut sur la trompette, ou bas dessus la lyre ;
Aux anciens la Muse a tout permis de dire
Tellement qu’il ne reste à nous autres derniers,
Sinon le désespoir d’ensuivre les premiers.
Moi donc, qui, de longtemps, par épreuve sais bien
Qu’au sommet du Parnasse on ne trouve plus rien
Pour étancher la soif d’une gorge altérée,
Je veux aller chercher quelque source sacrée
D’un ruisseau non touché…
Je boirai tout mon saoul de cette onde pucelle
Et puis je chanterai quelque chanson nouvelle.
Car il me plaît pour toi de faire ici ramer
Mes propres avirons dessus ma propre mer,
Et de voler au ciel par une voie étrange
Te chantant de la Mort la non dite louange.


Et, en effet, lui, le poète accoutumé de la joie de vivre et de sentir, le voici qui chante la Mort, et qui la chante en grand poète, comme on ne la chantera plus de longtemps après lui : qui la chante « en chrétien, » et qui termine par ces beaux vers qui sont, en 1584, les derniers du recueil de ses Hymnes :


Je te salue, heureuse et profitable Mort,
Des extrêmes douleurs médecin et confort !
Quand mon heure viendra, Déesse, je te prie,
Ne me laisse longtemps languir en maladie,
Tourmenté dans un lit : mais puisqu’il faut mourir,
Donne-moi que soudain je te puisse encourir
Ou pour l’honneur de Dieu, ou pour servir mon prince,
Navré, poitrine ouverte, au bord de ma province.