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C’est ce qui pourrait presque nous dispenser de rechercher curieusement quelles et qui furent cette « guerrière Cassandre » qui remplit le premier livre des Amours, et cette « douce Marie » qui en remplit la Continuation. La Continuation des Amours de Ronsard, tel est en effet le titre, le titre original et authentique du second recueil ; et n’est-il pas significatif ? L’objet de son amour peut changer, mais les amours de Pierre de Ronsard continuent ! Il aime en tant que poète, et sans doute il aime, il a aimé sa Cassandre et sa Marie comme on aime sans avoir besoin d’être poète, mais il a surtout aimé en elles le prétexte ou l’objet de ses chants. L’amour très pur que le grand Pétrarque portait à Laure de Noves ne l’a pas empêché, dit l’histoire, d’aimer une autre femme, qui lui faisait des scènes, et aussi des enfans. C’est ainsi que Ronsard, tout en chantant Cassandre et Marie, et même à la fois deux Marie, ne dédaignait pas d’aimer moins platoniquement quelque « chamberière ; » et pourquoi non ? si, comme il a soin de le noter lui-même, des rois et des dieux lui en avaient donné l’exemple. Et cela ne nous rend pas du tout sa sincérité suspecte ! Le plaisir est une chose, et l’amour, tel qu’on le comprenait parmi les poêles de la Pléiade, en est une autre. Mais cela nous invite à ne pas tant chercher dans les Amours une confession qu’une œuvre ou une tentative d’art, ni l’expression des sentimens personnels de Ronsard que celle de son ambition de surpasser les Italiens dans le sonnet d’amour.

Que l’on prenne donc, par exemple, l’admirable et voluptueux sonnet :


Je voudrais bien, richement jaunissant,
En pluye d’or goutte à goutte descendre,
Dans le giron de ma belle Cassandre,
Lorsqu’en ses yeux le somme va glissant.
Puis, je voudrais en taureau blanchissant
Me transformer, pour sur mon dos la prendre,
Quand en avril par l’herbe la plus tendre,
Elle va, fleur, mille fleurs ravissant.
Je voudrais bien, pour abréger ma peine,
Être un Narcisse, et elle une fontaine,
Pour m’y plonger une nuit à séjour ;
Et si voudrais que cette nuit encore
Fût éternelle ; et que jamais l’Aurore
Pour m’éveiller ne rallumât le jour…