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caractères, par celui qu’il tient de son origine musicale, il ne se pouvait pas que la subtilité du sens musical de Ronsard ne contribuât au perfectionnement de la rythmique ; et ceci, c’est la part de son effort où, certes, on vient de voir qu’il n’avait pas échoué. Personne, plus ou autant que ce sourd, — car il était sourd ou à demi, — n’a eu le sentiment des harmonies de la langue. Presque toutes les combinaisons de rythmes et de mètres dont le français est capable, il les a inventées, ou, ce qui revient au même, il les a le premier mises en faveur. Et toutes celles qu’il avait inventées n’ont pas fait la même fortune, mais on n’en devait pas inventer de nouvelles, et, à nos yeux comme aux yeux de ses contemporains, c’est là son premier titre de gloire. Les Odes de Ronsard ont en quelque sorte déterminé les types essentiels du lyrisme français, — nous ne parlons encore que de la « forme, » — et fixé les modèles de l’Ode, non seulement classique, mais romantique.

Est-ce uniquement et tout à fait le même dessein d’artiste qui l’a guidé dans la composition de ses Amours, dont le premier recueil paraît en 1552, avec le cinquième livre des Odes, et dont la Continuation est datée de 1555 et 1556 ? Il avait dit dans la Préface de la première édition des Odes « Telles inventions [lecteur] te ferai-je encore voir dans mes autres livres où tu pourras, si les Muses me favorisent, comme je l’espère, contempler de plus près les saintes conceptions de Pindare, et ses admirables inconstances que le temps nous avait si longuement celées, et ferai encore revenir, si je puis, l’usage de la lyre, aujourd’hui ressuscitée en Italie, laquelle lyre seule doit et peut animer les vers et leur donner le juste poids de leur gravité. » C’était une manière d’annoncer les trente-deux pages de musique qu’on trouve à la fin de la première édition des Amours ; c’en était une aussi de déclarer que, comme on avait imité Pindare, ainsi se proposait-on d’imiter Pétrarque et généralement tous les Italiens, à la manière de du Bellay dans son Olive et de Scève dans sa Délie. Ou, en d’autres termes encore, et conformément aux intentions de la Défense et Illustration, après les « saintes conceptions » de Pindare et généralement des anciens, c’était les « conceptions passionnées » des sonnettistes italiens, grands et petits, fameux ou obscurs, au moyen desquelles on se proposait d’enrichir, de magnifier, de diversifier, et d’ « artialiser » la langue française.