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Il y a dans le génie de Ronsard, que l’on croirait si glorieux de sa propre « plénitude, » quelque chose d’inquiet, et, pour ainsi parler, comme une perpétuelle angoisse de paraître inférieur à son ambition… Mais on peut cependant, et à la condition de laisser flotter quelques dates, distinguer trois « époques » dans cette œuvre monumentale ; la première qui s’est étendue de 1550 à 1560 ; la seconde, et de beaucoup la plus courte, que remplissent à eux seuls les Discours des misères de ce temps, de 1560 à 1563 ; et la troisième enfin, la plus longue, mais non pas toujours la mieux remplie, de 1563 à 1584.


I

Ce n’est pas une inquiétude quelconque, vague et indéterminée, mais l’inquiétude précise du « mieux, » et, par conséquent, celle de la perfection ou de l’art, que trahissent les remaniemens et corrections de Ronsard. Et, en effet, Ronsard est avant tout un « artiste, » ce qui ne veut pas dire qu’il soit indifférent au contenu de son œuvre, mais pourtant qu’il attache à la forme, telle du moins qu’il l’a conçue, une importance extrême et peut-être, en un certain sens, excessive. Telle est la leçon qu’il a tirée de la fréquentation des anciens, et, en particulier, de celle de Pindare. On ne s’attend pas, sur ce nom de Pindare, que nous parlions longuement ni à fond de cette poésie de l’ « athlétisme, » qui est l’occasion, sinon la matière des Néméennes ou des Olympiques, et nous nous contenterons de dire que les victoires des MiIon de Crotone tiennent peu de place dans l’histoire de l’esprit humain. Cela est trop Grec pour nous ! On n’apprend à l’école de Pindare ni à « penser, » ni à « sentir ; » et Ronsard lui-même, plus mûr, jugera très librement un jour ce souverain maître de sa jeunesse. Mais, encore qu’artificielle, ou peut-être à cause qu’artificielle, il faut convenir que la forme de l’ode pindarique, avec l’ampleur de son architecture ; avec la manière dont les mots, comme jadis les pierres des murs de Thèbes, s’y assemblent en cadence, à l’appel de la musique ; avec le complexe et harmonieux entrelacement de ses rythmes ; avec la variété, l’inattendu, la contrariété de ses mouvemens ; avec la splendeur de ses images et le symbolisme confus de sa mythologie, — si toutefois ce sont bien là quelques-unes des qualités que ceux qui s’y connaissent, y vantent, — cette