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Discours des misères de ce temps : — telle est l’œuvre de Ronsard, et, si l’on considère que rien de pareil ne s’était vu dans notre langue, ni chez les Italiens, ni même chez les anciens, où Pindare n’a point composé de sonnets amoureux, ni Virgile d’Odes héroïques, on se représentera sans peine l’émerveillement des contemporains. « Il s’est bien vu aux siècles passés des hommes excellens en un genre de poésie, — a dit à ce propos, dans son Oraison funèbre du poète, celui qui devait être plus tard le cardinal du Perron ; — mais qui aient embrassé toutes les parties de la poésie ensemble, comme celui-ci a fait, c’est ce qui ne s’était point vu jusques à présent. » Et c’est pourquoi sans doute il ne s’en est guère vu non plus, en aucun temps, que l’on ait admiré davantage ; qui, de son vivant même, ait joui plus pleinement de sa gloire ; dont la souveraineté littéraire ait été plus incontestée, ni enfin dont la fortune ou la destinée se soit déployée plus triomphalement que celle de Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois, né le 2 ou le 14 septembre 1525, au château de la Poissonnière, et mort, en son prieuré de Saint-Cosme-en-l’Isle, près de Tours, le 27 décembre 1585.

Les commencemens, il est vrai, les premiers commencemens, n’ont pas laissé d’être difficiles. Le seigneur Louis de Ronsard, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, maître d’hôtel du roi François Ier, a contrarié la vocation poétique de son fils. La formation du jeune homme, dans la docte maison de Lazare de Baïf, puis au collège de Coqueret, sous la discipline de Daurat, a été lente et laborieuse. Chaude et vive, ensuite, a été la bataille qu’il a fallu livrer contre les représentans de l’école de Marot ! Quand les quatre premiers livres des Odes ont paru, en 1550, on a commencé par s’en moquer, non seulement entre confrères, mais à la Cour même, ce qui était grave ! Le spirituel et mordant Mellin de Saint-Gelais, qui d’ailleurs pouvait invoquer le droit de légitime défense, n’a rien négligé, semble-t-il, de ce qu’il fallait faire pour fermer à cette impatiente et provocante jeunesse les avenues de ses ambitions. Mais l’orage n’a pas duré. La protection déclarée d’une seconde « Madame Marguerite, » sœur de Henri II, a réduit promptement les envieux au silence ; et, à dater de 1552, Ronsard est vainqueur, et les siens à sa suite, ou plutôt ils sont vainqueurs ensemble, mais, ainsi qu’on le dira plus tard, « l’action de toute une armée s’attribuant toujours au chef qui la conduit, » c’est au nom de Ronsard que