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réviser la Convention conclue à San Stefano, le 3 mars 1878, entre la Russie et l’Empire ottoman, attentif, comme il l’a été, à se maintenir scrupuleusement dans ces limites, pourquoi et comment a-t-il eu cependant un prestige et une influence qui, malgré de nombreuses violations du pacte, subsistent encore ? Il n’a été qu’un épisode circonscrit, et il est devenu un acte de premier rang. Il s’est contenté de remanier quelques territoires, et voici qu’il a exercé une action et assumé involontairement une responsabilité étrangères, en apparence, à son but spécial et à ce qu’il a fait : pareil, si j’ose le dire, à un acteur dont le rôle restreint est en réalité le centre du drame, il marque la fin d’une période et le commencement d’une autre.

Il faut, je crois, pour s’expliquer ces antithèses, se placer à un point de vue très supérieur à celui où le Congrès s’était placé lui-même. Sans doute, si l’on ne voit en lui que l’arbitre du conflit turco-russe, soumis, comme tel, aux calculs et aux réserves de la politique quotidienne, si on le juge d’après son travail immédiat et le traité qui l’a résumé, on ne comprend pas son retentissement et ses conséquences. Mais si, s’élevant plus haut, on étudie l’état de l’Europe au moment où il s’est réuni, l’ensemble de circonstances qui l’avait rendu presque inévitable, on l’envisagera comme l’agent, pour ainsi dire préétabli, d’une évolution politique qui s’accomplissait en dehors de lui, qui s’est produite et continuée simplement sous ses auspices. On ne sera point surpris, dès lors, qu’il reste la date saillante dans les annales diplomatiques de la fin du XIXe siècle, et qu’indirectement et sans le savoir, avec tant de force et si longtemps, il ait pesé sur les affaires européennes. On estimera qu’il a été ce qu’il devait être, malgré ses tâtonnemens et ses contradictions, et l’on trouvera les motifs logiques de sa grandeur dans son impérieuse opportunité.

Examinons d’abord quelle était la situation générale, à l’époque où les Puissances décidèrent la manifestation de Berlin. Après une période de vingt ans marquée par les trois grandes guerres de 1859, de 1866 et de 1870, et enfin par celle de 1877-1878, les relations internationales se trouvaient sensiblement altérées et obscurcies par tant de chocs violens, par l’antagonisme latent des ambitions satisfaites ou déçues, et aussi, — ce qui augmentait encore la confusion, — par l’invasion des idées de la science et des théories modernes dans la diplomatie. On était arrivé, au cours de tant de péripéties matérielles et