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Lorsqu’ils acceptent l’arbitrage, cela veut dire qu’ils s’y soumettront si la sentence leur convient ; sinon, non. Peut-être, et il faut l’espérer, le jour viendra-t-il où les progrès de leur éducation leur feront comprendre qu’avec l’honneur on ne transige pas ; mais ce jour n’est pas encore venu. En l’attendant, à quoi sert l’arbitrage ? Que deviennent même les projets de ceux qui proposent de le rendre obligatoire ? L’arbitrage diffère d’un jugement en ce sens que, librement accepté par les deux parties, il n’a d’autre sanction que leur libre et commun respect de la parole donnée. Il n’y a pas d’huissier, il n’y a pas de gendarme qui puisse imposer ce respect ; et, d’ailleurs, dans le cas dont il s’agit, comment obligerait-on des ouvriers à travailler, s’ils ne le veulent pas ? Le pouvoir humain y est impuissant. Que faire en présence d’un ouvrier qui, brutalement, cyniquement, décline la sentence qu’il a lui-même sollicitée ? Rien. Dès lors, c’est la banqueroute de l’arbitrage, et nul ne le déplore plus sincèrement que nous, car il n’y a pas de meilleur moyen, ni de plus rapide, ni de plus sûr lorsque l’arbitre est bien choisi, de résoudre des difficultés qui, autrement, sont presque inextricables : elles s’embrouillent, se compliquent et s’aggravent à mesure qu’on cherche à les résoudre et qu’on y échoue. Tel est le triste spectacle que nous donne Marseille en ce moment. Il y a encore une lueur d’espoir dans l’initiative prise par les entrepreneurs de la manutention, qui ont offert de donner du travail aux ouvriers respectueux de la sentence arbitrale ; mais le gouvernement fera-t-il respecter leur liberté ?

L’échec de l’arbitrage des dockers et des charbonniers devait avoir et a eu un contre-coup immédiat sur les négociations que M. Charles-Roux avait reprises et poursuivait d’autre part avec les inscrits maritimes. L’accord avec les inscrits ne servirait à rien, puisqu’il faudrait décharger les navires, avant de les armer à nouveau, et que les dockers seuls peuvent le faire. L’entente ne peut être utile avec les uns qu’à la condition de s’étendre à tous les autres. Jusque-là, point de sérieuse reprise du travail : la stagnation, la misère, et bientôt les sentimens que ces fléaux engendrent, avec la menace de leurs douloureuses conséquences ! Mais à qui la faute ? En vérité, il n’y a pas d’incertitude possible sur l’attribution des responsabilités. En vain les dockers et les charbonniers cherchent-ils à donner le change en s’écriant qu’ils veulent le contrat de 1903 sans adjonction et sans commentaire. D’adjonction au contrat, nous n’en connaissons qu’une, celle des délégués des chantiers : ce sont les ouvriers qui l’ont faite et on la leur accorde. Quant au