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Le chien basset a quelque chose dans son allure générale qui rappelle la difformité du nain achondroplasique. La tête est volumineuse, le tronc est râblé et vigoureux ; les membres seuls sont ridiculement courts, tantôt droits, tantôt arqués et torses, comme s’ils avaient fléchi sous le poids du corps. Cette race est fort ancienne. Les monumens de l’Egypte reproduisent fréquemment la figure du basset à jambes torses. Un autre exemple du même genre de conformation est fourni par les bœufs « natos » qui ont existé pendant un siècle environ au Mexique, au Chili et dans la République Argentine. C’est une race de bétail, très basse sur jambes quoique de corpulence ordinaire, et dont le museau écrasé ressemble à celui du chien bouledogue, comme si l’altération des cartilages avait été poussée ici jusqu’à la disparition des cartilages du nez. Les moutons « ancons » à pattes torses sont aussi des espèces de moutons bassets dont les éleveurs ont maintenu la race, tant qu’ils ont eu intérêt à le faire.

Tous ces animaux difformes ont conservé leur fécondité, et c’est par des unions répétées, par des croisemens in and in que les éleveurs sont parvenus à fixer ce type individuel et à en faire un caractère de race. A. Poncet a été frappé des rapprochemens qu’autorisent ces exemples tirés du règne animal. Il lui semble établi qu’au temps où les nains étaient recherchés par les princes et les seigneurs, ils étaient plus nombreux que de nos jours. Peut-être formaient-ils alors une race, un groupe ethnique véritable, et peut-être aussi des unions assorties présidaient-elles à la conservation de cette race. La supposition n’a rien d’impossible, puisque ces êtres contrefaits sont parfaitement aptes à se reproduire et qu’on les voit apparaître fréquemment par séries de deux et de trois dans une même famille. Mais la possibilité d’un fait n’en prouve pas l’existence ; et malheureusement toute la doctrine dont nous parlons n’est qu’un échafaudage de possibilités. Sous le bénéfice de cette expresse réserve, il nous sera permis de dire que nous la trouvons intéressante et d’en continuer l’exposé. Donc ces nains, après avoir longtemps subsisté à l’état de collectivité, comme en témoignent les monumens de l’Egypte, les vases céramiques de la Grèce et de Rome et les restes trouvés dans les sépultures de l’âge de la pierre, auraient progressivement diminué vers le milieu du moyen âge, et ne se montreraient plus aujourd’hui qu’à l’état de rappel atavique d’une conformation qui disparaît et qu’il n’y a vraiment pas lieu de regretter.


A. DASTRE.