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Les Grecs et les Latins plaçaient l’habitat de ces nains dans des contrées éloignées, ou torrides ou glaciales. Pline les faisait vivre, sous le nom de Spithamiens sur les bords du Gange. D’autres les plaçaient tantôt dans la Thulé du Nord, tantôt dans la barbare Carie ; mais le plus grand nombre, avec Aristote, leur assignait pour patrie une contrée de l’Afrique située vers les sources du Nil. C’est dans ces mêmes régions que se rendent, pour hiverner, beaucoup d’oiseaux migrateurs, tels que les hérons, les cigognes et les grues, qui pendant le printemps et l’été remontent jusque dans l’Europe septentrionale, pour en redescendre dès les premiers froids. Ces oiseaux voyagent en troupes rangées en ordre régulier, ayant un chef à leur tête et flanquées de sentinelles quand elles s’arrêtent pour dormir. Elles envahissent ainsi, à la fin de l’automne, ces contrées africaines, voisines de l’Ethiopie, dont les anciens faisaient précisément la patrie des pygmées. De là ces rencontres des pygmées et des grues que l’imagination des poètes a transformées en batailles rangées. Homère d’abord, puis Hésiode, Ovide et Juvénal, ont dépeint ces avortons montés sur des chèvres et des béliers ou traînés, selon Athénée, dans des chats attelés de perdrix, et bataillant contre les hordes de grues descendues du fond de la Scythie. Claudien a décrit le défilé des grues ; Stace a célébré la victoire des pygmées. Des écrivains plus graves, Aristote, Philostrate et Pline ; des Pères de l’Eglise, saint Augustin et saint Jérôme, ont admis la partie de ces histoires relative à l’existence des pygmées et à la lutte contre les grues : et Aristote dit expressément que c’est une vérité et non point une fable.

Il est remarquable que les commentateurs des anciens qui ont accepté tant d’affirmations plus absurdes, aient trouvé celle-là inadmissible. De Scaliger à Vossius on a contesté l’existence des pygmées. Les modernes ne se montrèrent pas moins sceptiques. Il fallut que du Chaillu, l’aventureux explorateur du Congo et de l’Ogoué, affirmât en avoir rencontré des exemplaires vivans pour ébranler le scepticisme général. Le savant botaniste et célèbre voyageur Schweinfurth, qui vécut pendant près de trois années, de 1870 à 1873, dans les régions du Haut-Nil, apporta un témoignage décisif de leur existence. Tandis qu’il était l’hôte du roi des Niam-Niams, il entendit parler d’un peuple désigné sous le nom d’Akkas qui habitait à trois journées de marche vers le Sud et qui était composé d’hommes singuliers, très petits, adroits, agiles et presque insaisissables. Il en vit quelques-uns que les chefs Niam-Niams conservaient auprès d’eux pour leur divertissement, comme les princes d’Europe ont eu pendant longtemps