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UN NOUVEAU VOLUME D’ADA NEGRI

MATERNITÉ[1]

Dans le dernier morceau des Rime nuove, qui est un des plus magnifiques qu’il ait écrits, M. Giosuè Carducci a exprimé sa conception du poète. Un puissant ouvrier, qui travaille gaîment à sa forge dès le lever du jour. Il jette dans la flamme ardente « les élémens — de l’amour et de la pensée, —… et les souvenirs — et les gloires — de ses pères et de sa race. » Il frappe, sous le soleil qui lui chauffe le front, et de son marteau jaillissent des épées et des boucliers, des vases et des autels, des guirlandes et des diadèmes. « Pour soi, le pauvre travailleur — fait un trait — d’or, et le lance contre le soleil : — il le regarde monter — et resplendir, — il le regarde et jouit, et ne veut rien de plus. » Cette image définit à merveille la poésie du grand artiste des Odes barbares, presque toujours impersonnelle, tirée de l’âme collective d’un pays au très long passé, aux lointains souvenirs, et qui est, si l’on peut dire, une poésie civile, une poésie nationale, une poésie publique. Si l’on voulait se représenter ce qu’est la poésie de Mme Ada Negri, il faudrait prendre l’exacte contre-partie de celle-ci. Pas d’enclume ni de marteau ; pas d’ « élémens » dont le feu prépare l’amalgame et qui sortent de l’atelier en ouvrages solides et parfaits. C’est la flamme elle-même, simplement. Et, comme la flamme que déchire le vent de l’incendie, elle est irrégulière, capricieuse, inégale :

  1. Milan, Fratelli Trêves, 1904. Du même auteur et chez les mêmes éditeurs : Fatalità, avec une préface de Mlle Sofia Bisi Albini, 1893, et Tempeste, 1896. — Cf. la Poésie italienne contemporaine, par Jean Dornis, 4e édit. Paris, 1900 ; et Précurseurs et révoltés, par M. Ed. Schuré. Paris, 1904.