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témoignage, qu’il avait marqué lui-même à la foudre, zigzaguant pardessus la « ville de péché, » le point où elle devait tomber. « Paris ! Paris, toi qui as répandu tant de maux sur tous les peuples, voilà ton tour ! » Goerres, nouvel Isaïe, dictait à Dieu ses arrêts ; il condamnait une ville à mort ; et la foudre survenait, justicière docile.

Napoléon, traqué par quatre souverains qui derrière eux avaient quatre peuples, parlait du Mercure comme de la « cinquième puissance ; » et tandis que les quatre puissances étaient coalisées pour faire taire l’Empereur, la cinquième, elle, avec un raffinement de dérision, s’ingéniait en un pastiche à le faire parler. Un adieu de Napoléon à son peuple courut à travers l’Europe : « On m’a chassé de chez toi, criait l’Empereur déchu, mais tu es moi. J’ai vaincu la Révolution, et puis je l’ai absorbée ; et maintenant que je m’en vais, je te la rends, de nouveau je la vomis sur toi ; la discorde ne fera plus qu’un avec ton être. Si tu crois pouvoir te passer de ma personne, mon esprit repose sur toi. Un jour viendra où tu crieras vers moi pour que je t’aide. » Goerres se mettait dans l’âme de son ennemi, et le grand théâtre de l’Europe, devenu muet depuis que le bruit des proclamations n’y succédait plus au bruit des victoires, eut un instant cette illusion d’être rempli, comme naguère, par la voix de Napoléon. Même mystificateur, Goerres demeurait prophète : exilé de la terre par les Anglais, dérobé par la mort, ensuite, à la barrière des océans, l’Empereur avait en effet condamné la France, incertaine, souffreteuse, à être toujours en travail de lui, par-delà Sainte-Hélène, par-delà le tombeau.

A côté de cet hommage involontaire que Goerres rendait à Napoléon, un autre hommage, celui-là volontaire, se multipliait sous sa plume à l’adresse de Pie VII :


Tes douleurs touchent à leur fin, disait-il au Pape ; bientôt résonneront à ton oreille les tonnerres de la dernière bataille, et tes défenseurs s’approcheront, les héros du Nord, ceux dont les pères, jadis, ont brisé la force de l’antique paganisme. Au milieu de ces troupes de vaillans défenseurs du Seigneur, tu te dresseras comme jadis se dressa Léon ; Russes, Suédois, Allemands, Anglais, Espagnols et Italiens, t’entoureront sur le champ de Sennar près Babylone, et tu béniras les généraux et les armées qui ont emporté de vive force, dans un combat, la paix du monde, le repos et la concorde de l’Eglise.