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sonore des mots : il aime à se laisser bercer par elle ; il goûte de telles formules, il y applaudit, sans chercher toujours à soulever le voile dont elles sont enveloppées. Le seul avantage que nous voulions reconnaître à celles qui nous sont ainsi données est que, grâce à elles, il nous est loisible de comparer les faits aux principes énoncés et que nous y trouvons une occasion d’étudier cette « Unité morale » dont il est tant parlé. Nous nous proposons d’en rechercher les origines et les garanties, d’apprendre de l’histoire même de notre pays comment on peut nuire à cette unité en affirmant l’assurer, de dévoiler la folie d’une politique qui prétend l’établir par la contrainte, et de travailler par cela même, dans la mesure de nos forces, à cette union nationale et à cette paix sociale, vers lesquelles toutes nos volontés doivent être incessamment et passionnément tendues.


I

Le Parti de « l’Unité morale » a ses orateurs, ses philosophes et ses historiens. A lire ces derniers, lacté de naissance de l’unité française pourrait être établi par eux, en une forme en quelque sorte officielle et légale : ils en sont les greffiers. Cette unité s’est, pour la première fois, révélée le 14 juillet 1790, jour de la Fête de la Fédération. Une enquête plus approfondie leur permettra, sans doute, de préciser l’heure même de cette éclosion : jusque-là, le champ reste ouvert aux controverses ; suivant ses goûts, ses tendances ou son tempérament, chacun est libre de fixer son choix sur la solennité de la messe célébrée par l’évêque d’Autun, le serment constitutionnel de Louis XVI, ou celui de M. de Lafayette.

C’est là une prétention bien singulière. L’unité nationale n’a pas pris naissance à heure dite, en un jour fixé. Lorsque, remontant le cours des années, on s’efforce de dégager les élémens de cette unité, d’en suivre les racines au travers de l’humus épais d’où a jailli la sève nourricière, c’est, à chaque pas, un coup de sonde plus profond qu’il faut donner dans un passé plus lointain. Il n’existe pas de barrière au-delà de laquelle il y ait un chaos, en deçà de laquelle il y ait un peuple ; l’agrégat psychologique et physiologique qui constitue une nationalité dans sa forme représentative n’est pas le produit d’un coup de baguette ou d’un décret ; pas plus que dans la nature un être ne naît