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IV

L’Allemagne était lente au réveil ; et Goerres, quand même, croyait à l’Allemagne, d’une foi qui s’insurgeait contre la souveraineté de l’empereur et contre l’humble docilité des peuples. Voulant justifier sa croyance, angoissé peut-être par le besoin de s’y confirmer lui-même, on le vit se jeter, avec un geste d’abandon farouche, dans un acte de foi en la Providence : Goerres crut au Dieu-Providence, parce qu’il voulait croire à l’Allemagne et parce qu’il lui semblait qu’une nation si profondément endeuillée méritait, pour supporter ses malheurs, les condoléances de Dieu lui-même. Il commença, en 1810, de se faire l’écho de Dieu. « Comme le soleil, écrivait-il un jour, la Providence brille au ciel ; elle plonge ses regards dans l’orage, et son rayon éclairera la matière chaotique et soulevée. Peu nombreux sont les hommes qui peuvent élever au-dessus de ce désordre leur libre regard et comprendre le but du bouleversement. » Il se rangeait parmi ces hommes, sans jactance mais sans tremblement, et il s’assignait cette tâche ingrate, d’interpréter de la part de Dieu les malheurs de l’Allemagne.

On dirait qu’en présence de l’Allemagne terrassée Goerres plaide pour la Providence ; mais la plaidoirie devient bientôt offensive ; l’avocat de Dieu s’érige en organe de Dieu, et c’est en condamnant la paresseuse mollesse de l’Allemagne qu’il absout l’apparente incurie du Très-Haut.


Comment le peuple allemand, avec ses aspirations fragmentaires, confuses, inconstantes, pouvait-il emporter l’estime des puissances ordonnatrices qui sont au ciel ?… Il a manqué de qualités pour mériter la victoire ; les qualités lui eussent manqué, aussi, pour profiter de la paix… Les résultats ont montré que les choses n’eussent point ainsi tourné pour les Allemands, si la puissance qui, sur terre, régit toutes les destinées, avait reçu d’eux cette garantie, qu’ils doivent être les ouvriers d’un ordre nouveau, supérieur à l’ordre actuel ; sûrement, en ce cas, elle leur eût donné la victoire.


C’est dans son écrit sur la Chute de l’Allemagne et les conditions de sa résurrection, imprimé en 1810, que Goerres esquisse cette explication des infortunes allemandes. Elle peut en ces termes paraître banale, et ressembler à un commentaire de l’encourageante mais platonique maxime : Aide-toi, le ciel t’aidera.