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parmi les ports russes. Si le nombre des navires battant pavillon russe et attachés aux ports de la Mer-Blanche est relativement considérable (462), la proportion des vapeurs (43) est très inférieure à celle des voiliers.

Cette flotte, d’une importance économique si minime, se signale, il est vrai, par une particularité intéressante. Elle compte deux navires armés, commandés et montés par des moines.

Parmi les couvens les plus renommés de l’empire des tsars, il en est un qui s’élève dans une île, au milieu de la Mer-Blanche ; c’est le couvent de Solovietsk. L’archevêque Athanase, qui fut l’initiateur de Pierre le Grand aux choses de la mer, a fait école. Pour assurer le service entre la côte et leur île, et transporter dans leur monastère les pèlerins qui s’y rendent, à certaines époques, au nombre de 3 000 par jour, les moines de Solovietsk possèdent deux bateaux à vapeur, fort bien aménagés. Les capitaines de ces steamers, les mécaniciens et les chauffeurs, les timoniers et les matelots, tous, à bord, sont des moines. Et il ne faut pas croire que la traversée entre Arkhangelsk et Solovietsk soit toujours à l’abri des coups de vent et des coups de mer. Pierre le Grand y subit une tempête à laquelle se rattache une des nombreuses légendes qui se sont formées autour de lui[1]. Dans leur île, sur laquelle l’archimandrite exerce, en fait, une souveraineté absolue, les bons moines ont un dock, un atelier de réparation et même un chantier de construction outillé pour construire des bateaux à vapeur, moins les machines. Ils ont soutenu un siège, en 1854, contre l’escadre alliée, et essuyé, sans se rendre, le feu des navires anglais ; aussi, depuis ce jour, leur a-t-on donné de l’artillerie, et ces singuliers moines, que l’on a vus sur la passerelle, dans les machines et dans les cordages, se livrent aussi à l’exercice du canon.

C’est, croyons-nous, le seul exemple d’une flottille possédée par des moines. S’il était un endroit où ce fait pût encore se présenter, c’était bien dans ces parages, les premiers où ait flotté le pavillon moscovite. La Mer-Blanche est en effet la plus ancienne des mers ayant appartenu aux Russes, la seule à laquelle la Russie ait eu accès jusqu’à l’avènement de Pierre le Grand. Aussi n’est-il pas étonnant que le commerce lui-même ait conservé,

  1. Voyez dans la Revue du 1er août 1873, la Légende de Pierre le Grand dans les Chants populaires et les Contes de la Russie, par M. Alfred Rambaud.