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le soir même par Louis XIV à son ministre des Affaires étrangères, ainsi qu’en témoigne la lettre suivante de M. de Lyonne, écrite le lendemain matin, avant que le Roi fût levé, et expédiée en hâte à M. de Pomponne[1], notre ambassadeur en Hollande :

« Je suis accablé d’affaires et n’ai le temps de vous dire autre chose si ce n’est que, comme je ne doute pas que toutes les lettres de Paris ne portent en vos quartiers la nouvelle du mariage de Mademoiselle avec M. le comte de Lauzun, je dois vous avertir que le Roi le rompit hier à onze heures du soir, ce que peu de personnes auront pu apprendre avant le départ de l’ordinaire. J’ai déjà minuté une lettre circulaire de Sa Majesté à tous messieurs ses ministres qui la servent au dehors, pour les informer de tout ce qui s’est passé depuis sept ou huit jours en cette affaire ; mais comme le Roi ne s’éveille qu’après neuf heures, et qu’alors le courrier sera parti, Sa Majesté ne pourra la signer assez à temps pour vous être envoyée aujourd’hui et vous vous contenterez, s’il vous plaît, de savoir que le mariage est rompu. Je vous prie d’envoyer la copie du billet à M. le chevalier de Terlon et au sieur Rousseau[2], et de leur marquer que je vous en ai prié[3]. »

Avant de faire connaître la « lettre circulaire de Sa Majesté » sur les cris et les larmes de sa pauvre cousine, il est à noter que le pays trouva parfaitement naturel, à en juger par les écrits du temps, ce faire-part officiel aux puissances étrangères de choses qui les regardaient si peu. Tant l’homme était inséparable du souverain dans l’opinion du XVIIe siècle, et tant la France était pénétrée de l’importance universelle de Louis XIV et des obligations qui en découlaient pour lui ! « Il devait compte de ses actions à toute l’Europe, » dit, à propos de l’affaire Lauzun, une relation déjà citée[4].

Il est bon aussi de rappeler, pour l’intelligence du texte, que l’une des demi-sœurs de Mademoiselle avait épousé un duc de Guise, cadet de la maison de Lorraine ; mariage qui n’avait pas semblé moins inégal à l’aristocratie française que celui de Lauzun avec Mademoiselle. On n’y avait pas fait grande attention sur le moment, parce que, entre Mlle d’Alençon et la Grande

  1. Simon Arnauld, marquis de Pomponne (1618-1699) et fils d’Arnauld d’Andilly.
  2. Nos chargés d’affaires en Suède et en Allemagne.
  3. Archives de la Bastille.
  4. Philibert Delamare, loc. cit.