Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/605

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle ergotait, essayait de le retenir : il lui répéta son refrain accoutumé, qu’il fallait obéir, et prit froidement congé, tandis qu’elle s’écriait : « Mais ne vous en allez pas. Quoi ! je ne vous parlerai plus ! » A partir de ce jour, Lauzun l’évita soigneusement. Un soir que cette princesse lui avait commandé de renouer son ruban de manchette, il « répondit qu’il n’était pas assez adroit, » et céda la place à Mlle de La Vallière. Il évitait même de regarder du côté de Mademoiselle.

Louis XIV avait trouvé son frère tout endoctriné sur les avantages d’épouser beaucoup de millions ; Monsieur demandait seulement un délai, ne voulant pas, avec les bruits qui couraient, paraître trop pressé de remplacer la morte. Mademoiselle s’étudiait de son côté à traîner les choses en longueur. De l’un à l’autre, le mois de septembre s’avançait, lorsque le Roi dit à sa cousine en présence de la Reine : « Mon frère m’a parlé ; il souhaite qu’au cas que vous n’eussiez point d’enfans, vous donniez tout votre bien à sa fille[1], et il dit qu’il souhaite fort de n’en point avoir, pourvu qu’il soit sûr que ma fille épouse son fils. Je lui ai dit que je lui conseillais d’avoir des enfans, parce que ce n’était pas une chose sûre. »

Monsieur avait treize ans de moins que Mademoiselle, et celle-ci savait ce que parler veut dire. Elle se mit néanmoins à rire : « Jamais en se mariant on n’a dit que l’on souhaite de n’avoir point d’enfans. Je ne sais si ce propos est obligeant ; qu’en dit Votre Majesté ? » Le Roi riait aussi : « Il a dit bien d’autres choses sur ce chapitre, plus ridicules, que je lui ai conseillé de ne pas dire, pour son honneur. » La plaisanterie se prolongea malgré la Reine, qui s’écriait : « Cela est bien vilain ! » Enfin, Mademoiselle conclut d’un ton sérieux : « Quoique je ne sois pas jeune, je ne suis pas d’un âge à ne pouvoir avoir d’enfans. A une créature fort inférieure on fait de ces propositions ; ainsi Votre Majesté veut bien que je dise qu’elles ne me sont pas agréables. » Le Roi reprit aussi son sérieux pour prévenir sa cousine, qu’il ne donnerait jamais à son frère ni gouvernement, ni rien de ce qui procure la puissance, mais seulement des pierreries, meubles et autres jouets. C’était encore l’une des leçons de la Fronde, et Louis XIV insiste sur cette résolution dans ses

  1. Monsieur avait deux filles de son premier mariage : Marie-Louise d’Orléans, qui épousa, en 1679, Charles II, roi d’Espagne, et Anne-Marie de Valois, mariée, en 1684, à Victor-Amédée II, duc de Savoie.