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dit : « Beaucoup, et j’ai peur que ceci ne rompe tous nos projets. » Je lui dis : « Ah ! non, quoi qu’il puisse arriver. » Elle ne put dormir de la nuit : comment se débarrasser de Monsieur, si le Roi « voulait » ce mariage ? A six heures du matin, on vint de Saint-Cloud annoncer la mort de Madame. À cette nouvelle, « le Roi, continue Mademoiselle,… résolut de prendre médecine, » et cette princesse, survenant avec la Reine, le trouva en robe de chambre, qui pleurait Madame de bon cœur et s’attendrissait sur lui-même. Il dit à Mademoiselle : « Venez me voir prendre médecine, afin de ne plus faire de façons et de faire comme moi. » Après avoir bu, il alla se recoucher, et la matinée se passa autour de son lit, à parler de la morte. Dans l’après-midi, le Roi s’habilla, et vint causer des funérailles avec Mademoiselle, la grande autorité de la cour en matière d’étiquette. Dès que tout fut réglé, il lui dit la parole qu’elle attendait et qu’elle redoutait : « Ma cousine, voilà une place vacante : la voulez-vous remplir ? » Je devins pâle comme la mort, et je lui dis : « Vous êtes le maître, je n’aurai jamais de volonté que la vôtre. » Il me pressa ; je lui dis : « Je n’ai rien à dire que cela. » — « Mais y avez-vous de l’aversion ? » Je ne dis rien ; il me dit : « J’y travaillerai et je vous en rendrai compte. » Dans les salons, la foule remariait Monsieur tout haut. On disait : « A qui ? » et l’on regardait Mademoiselle.

Lauzun prit la chose en homme d’esprit, sans s’attarder à d’inutiles regrets, ni feindre un désespoir amoureux qui était fort loin de lui. Ce fut d’un air très dégagé, et très gai, trop même au gré de Mademoiselle, qu’il la félicita et qu’il refusa d’écouter ses protestations que « cela ne se ferait point. » « Le Roi, lui disait-il, veut que vous épousiez Monsieur ; il lui faut obéir. » Il l’objurguait de ne pas hésiter, et lui dépeignait les joies des grandeurs et le bonheur d’être toujours en fête avec Monsieur. Elle répondait : « Songez que j’ai plus de quinze ans, et que vous me proposez des choses propres aux enfans. » De tous les honneurs attachés au rang de belle-sœur du Roi, un seul la touchait : c’était que l’on avait une bonne place dans le carrosse royal, au lieu d’être toujours sur le strapontin, et elle représentait à Lauzun que la bonne place « ne durerait pas ; » il faudrait la rendre aux enfans du Roi dès qu’ils seraient grands. Il répliquait à tout qu’il fallait obéir. Une fois, il ajouta : « Il faut oublier le passé. Pour moi, je ne sais plus