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sa chambre) que le bruit que font des personnes qui pleurent. » L’entrée des souverains avec leur suite changea soudain les dispositions de cette chambre. Louis XIV, cependant, était sincèrement affligé, Mademoiselle sincèrement émue, et le reste sentait « qu’on perdait avec (Madame) toute la joie, tout l’agrément et tous les plaisirs de la cour[1] ; » mais l’égoïsme et l’intrigue marchaient sur les talons des Majestés. Tout en pleurant, chacun se mit à songer aux conséquences de cette mort. Qui hériterait du grand crédit de Madame ? Qui Monsieur allait-il épouser ? Serait-ce Mademoiselle ? Comment s’en trouveraient les intérêts de tel ou tel ? La mourante sentait autour d’elle comme un refroidissement : « Elle voyait la tranquillité de tout le monde avec peine, rapporte Mademoiselle ; car je n’ai jamais rien vu de si pitoyable que l’état où elle était, et celui où elle voyait les autres… On causait dans la chambre ; on allait et venait ; on riait quasi. » Monsieur n’était plus « qu’étonné » de ce qui lui arrivait. Mademoiselle l’ayant engagé à faire appeler un prêtre, il lui dit : « Qui enverrons-nous chercher qui eût un bon air à mettre dans la Gazette ? » Monsieur est tout entier dans cette question.

Après le départ du Roi, qui en entraîna d’autres, la scène changea encore. Monsieur avait envoyé chercher Bossuet, qui a raconté sa course à Saint-Cloud dans une lettre à l’un de ses frères. Il semble, à le lire, que sa présence chez Madame ait purifié les esprits des préoccupations terrestres, pour n’y souffrir d’autre pensée que celle de la grandeur de la mort. En tout cas, Madame donna l’exemple, en prouvant de toutes les manières, et jusqu’à son dernier soupir, qu’elle se savait en train d’accomplir « la plus importante action de notre vie[2]. » — « Je la trouvai avec une pleine connaissance, dit Bossuet, parlant et faisant toutes choses sans trouble, sans ostentation, sans effort et sans violence, mais si bien et si à propos, avec tant de courage et de piété que j’en suis encore hors de moi ! » Dieu eut ainsi le dernier mot.

A Versailles, la Reine s’était mise à souper en rentrant. Mademoiselle apercevait Lauzun parmi les assistans. « En sortant de table, je lui dis : « Voici ce qui nous déconcerte. » Il me

  1. Mme de Sévigné à Bussy-Rabutin, Lettre du 6 juillet 1670.
  2. Mme de Sévigné à Bussy-Rabutin (Lettre du 15 janvier 1687) à propos de la mort de Condé.