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terrain assez préparé ; je ne le veux pas ;… je m’y oppose. » Quelques jours après, ils regardaient ensemble par une fenêtre et échangeaient leurs impressions sur les gens de qualité qui venaient à passer, « leur taille, leur air, leur mine, leur esprit. » Au bout de quelque temps, Lauzun dit : « Par ce que je vois, ce n’est pas un de ceux-là que vous choisirez. » — « Non, assurément, répliqua Mademoiselle. Je voudrais qu’il passât et vous le pouvoir montrer. » Comme on avait beau passer, elle reprit : « Il faut chercher : il y en a encore quelque autre. » « Sur cela, rapportent ses Mémoires, il sourit, et nous parlâmes d’autre chose. » Ils avaient maintenant de ces sourires d’intelligence.

Cependant la cour revint à Saint-Germain (le 7 juin), sans que Mademoiselle eût obtenu la parole décisive qu’elle ne cessait de mendier. Lauzun opposait des atermoiemens à toutes ses avances. Calcul ou excès de prudence, il allait avoir à s’en applaudir.


III

Quinze jours s’étaient encore passés dans les détours et les faux-fuyans. Mademoiselle en était excédée. Tout en comprenant qu’un cadet de Gascogne ne pouvait pas lui dire : « Prenez-moi, » il était si peu dans son caractère de jouer au plus fin, qu’elle trouvait « les manières de M. de Lauzun à son égard… extraordinaires. » Lauzun était trop compliqué pour une personne qui l’était si peu. La Bruyère lui-même allait renoncer à le pénétrer, et l’avouer dans le passage où il le peint sous le nom de Straton : « Caractère équivoque, mêlé, enveloppé ; une énigme ; une question presque indécise. » Persuadée qu’il ne se dérobait que par respect, Mademoiselle résolut de brusquer les choses.

Le 20 juin, la cour alla « prendre les divertissemens de la belle saison[1] » à Versailles. Monsieur et Madame s’en furent à leur château de Saint-Cloud, Mademoiselle suivit la cour. Lauzun s’était absenté, mais il avait soin de venir, de temps à autre, faire des apparitions chez la Reine. Un soir qu’il y avait rencontré Mademoiselle et qu’il la plaisantait au sujet du duc de Longueville, cette princesse lui dit vivement : — « Assurément, je me marierai ; mais ce ne sera pas à lui. Je vous prie que je vous

  1. Gazette de Renaudot.