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lutte a été le résultat final de la lutte même. La douceur est de plus en plus, elle aussi, une puissance plus forte que la « dureté. » Il y a une vérité « scientifique » au fond de la grande parole morale : « Bienheureux ceux qui sont doux, car le royaume de la terre leur appartient. » Tout ce qui a été jadis et tout ce qui est aujourd’hui ne prouve rien contre ce qui sera.

Un biologiste célèbre de l’Allemagne, M. Weissmann, se demande avec raison si toute cette efflorescence luxuriante de sentimens proprement humains et d’idées humaines (bien plus, ajouterons-nous, universelles), a vraiment pour unique explication de conserver la vie organique de l’individu ou de l’espèce. Le résultat final ne dépasse-t-il point énormément les nécessités purement physiologiques ? N’implique-t-il pas un « processus » plus profond que la vie même et une forme d’existence mentale supérieure ? Il y a là, répondrons-nous, non pas seulement adaptation aux conditions extérieures et matérielles de la vie organique, mais adaptation au Cosmos tout entier, à la réalité universelle et à l’idéal universel ; car l’homme pense, sent et veut universellement. Il faut en finir une bonne fois avec les sophismes toujours renaissans que mettent en circulation les falsificateurs de denrées scientifiques. Voulez-vous, voulons-nous, en définitive, une conclusion qui soit vraiment conforme à la science et à la philosophie, parce qu’elle sera vraiment contenue dans ses prémisses et que ces prémisses elles-mêmes embrasseront la réalité entière ? Voici, en quelques mots, ce qu’il faudra dire, et nous ne donnons pas cette conclusion comme une hypothèse, mais comme une vérité démontrée. Le monde vivant est tout entier régi par deux lois : celle de la concurrence pour la vie, et celle de l’accord pour la vie. La loi de la concurrence a pour vraie conséquence, dans l’ordre social, la nécessité de respecter le développement de l’individualité ; la loi de l’accord pour la vie, d’autre part, réclame, dans l’ordre social, le progrès incessant de la solidarité. Ne voir qu’une seule de ces lois, c’est confondre la partie avec le tout ; les embrasser toutes les deux, avec leurs conséquences légitimes, c’est, en faisant œuvre de vraie science, comprendre le passé et anticiper l’avenir.


Alfred Fouillée.