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considéraient que la supériorité de la République était de supprimer pour eux l’inquiétude du lendemain. S’ils avaient vidé la maison de ses anciens maîtres, ce n’était pas pour la rendre à des nouveaux, mais pour l’occuper eux-mêmes : ils entendaient devenir, sans honte ni scrupules, les parasites de la révolution. En nombre d’entre eux, les deux instincts de contrôle politique et d’égoïsme se combinaient et persuadaient à leurs dupes que s’assurer le pain quotidien près du pouvoir et à ses frais était la meilleure manière de prévenir les inerties ou les trahisons de l’État. Certains enfin étaient des gens de sac et de corde, qui brisaient l’Empire, comme les repris de justice rompent leur ban, des furieux qui, las de trembler, voulaient à leur tour faire peur, des voleurs qui, pour dormir tranquilles, voulaient devenir les gendarmes et s’abriter dans des fonctions de police, où ils ne pourraient être pris et pourraient prendre. Mais la prétention des uns et des autres à ce privilège était faite pour soulever la jalousie de tous ceux qui, à Marseille, n’étaient ni moins républicains ni moins besogneux, ni moins fainéans, et la multitude assiégeante dépasserait tellement la garnison assiégée que celle-ci ne pourrait se maintenir, si elle ne transformait son installation violente en droit. Les civiques avaient besoin d’une autorité morale qui légitimât leurs prises, comme le Comité de Salut Public avait besoin d’une force matérielle qui le soutînt contre tous agresseurs. Chacun des deux pouvoirs possédait ce qui faisait défaut à l’autre : ils avaient chance de se rendre invincibles en se solidarisant. Les civiques, devant au Comité une consécration, qui serait compromise s’il venait à succomber, lui seraient attachés de toutes leurs cupidités, puisque le soutenir serait se défendre eux-mêmes. A les caresser, le Comité consacrerait sa réputation révolutionnaire, puisqu’ils étaient les plus hardis, les plus farouches, les moins scrupuleux des démagogues. Sans doute, l’alliance entraînait certaines complicités : la bande dont la fidélité serait acquise porterait parfois dans ses fonctions le mépris des lois, le goût de l’arbitraire, de la violence, du pillage. Mais ces excès ne menaçaient que les personnes ou les biens des réactionnaires. Il ne serait pas trop cher de payer, par quelques dommages aux ennemis, le bienfait essentiel, la possession assurée du pouvoir aux mains des neuf hommes à qui sourirait la fortune. Tel était le seul plan des auxiliaires envoyés à Labadié ; l’aider à faiblir et se donner une garde prétorienne.