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Pour le Comité de Salut Public, le gain était aussi grand qu’imprévu. La veille, agitateurs suspects à la population ou ignorés d’elle, ils avaient, en quelques heures, forcé l’accès du Conseil municipal et se trouvaient portés à la tête du département. Sans doute ils auraient pu prendre la Mairie comme la Préfecture et s’installer dans un pouvoir fait tout entier par eux et pour eux. Mais Marseille, si elle subissait cette violence, en garderait la rancune, le gouvernement tôt ou tard ferait un avec l’opinion, et, le jour où il se tournerait contre eux, ils n’auraient plus à attendre que le châtiment des révoltés. A accepter au contraire l’offre du Conseil, sollicités au lieu de solliciteurs, ils gagnaient d’être accrédités à la fois auprès de la population et auprès du gouvernement. A détenir une portion de l’autorité publique, ils gagnaient d’être armés, quels que devinssent les événemens. Si la Révolution l’emportait, ils étaient déjà en place pour servir la cause ; si la force restait à l’ordre, ils pouvaient du moins, dans la déroute, sauver leurs bagages. Ils acceptèrent donc et partirent pour la Préfecture.

Informé de ces agitations, où le nom de République était disputé par des influences contraires, le gouvernement avait, lui aussi, voulu tout apaiser en partageant les satisfactions entre les partis. Ses premières dépêches du 5 accordaient aux hommes d’ordre la prohibition énergique du drapeau rouge ; aux républicains modérés, la confirmation de Labadié comme préfet ; aux révolutionnaires, la liberté de Gaston Crémieux et de ses complices.

Ceux-ci, dès leur délivrance, furent conduits en triomphe par leurs partisans à l’Hôtel de Ville et reçus par le Conseil municipal. Aux félicitations, Crémieux répondit par des reproches contre la tiédeur de l’assemblée et réclama d’elle la destitution de Labadié, qui n’avait encore ni arrêté d’Aurelle, ni mis la main sur les caisses publiques. La vue de la place rassura le Conseil : de la foule, peu d’heures avant, si pressée et impérieuse autour de la Mairie, il ne restait qu’un petit groupe fort au large pour attendre Crémieux ; le reste avait levé le siège, depuis qu’il savait la partie liée entre ses meneurs et l’Assemblée municipale. Le Conseil ose donc demander à l’orateur « au nom de qui il parle, » se déclarer hostile à toute confiscation, et conclure que Labadié, fonctionnaire de l’Etat, ne peut plus être révoqué par la ville. Thourel ajoute que, la veille, Labadié a, le