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d’un christianisme dans lequel elle englobait l’Église, mais en marquant à l’Eglise ses cantonnemens, c’est au Pape en tant que souverain, et non point en tant que vicaire du Christ, que la Sainte-Alliance s’intéressait ; elle étendait au trône de Rome beaucoup plus qu’à la chaire de Saint-Pierre sa sollicitude commune pour toutes les souverainetés. Mais s’autoriser de ce fait pour considérer la Sainte-Alliance comme l’expression d’une politique catholique, c’est oublier que, même en Autriche et même en Allemagne, en dépit du prestige de Metternich et des dispositions bienveillantes qu’il témoignait au Saint-Siège, les principes des rois alliés provoquèrent soit l’hostilité ouverte, soit les réserves les plus expresses des représentans de la pensée religieuse.

Etudier l’attitude de ces publicistes dans le domaine de la philosophie politique et sociale ; montrer en cette attitude le résultat d’une doctrine qui n’était point celle de la Sainte-Alliance et qui leur donnait, tout ensemble, l’apparence d’être des attardés et le mérite d’être des précurseurs ; regarder comment les romantiques de la veille s’arrachèrent aux régions nébuleuses dans lesquelles leur fantaisie se mettait en quête d’une croyance et se plaisait à la sentir impalpable, à la frôler plutôt qu’à l’étreindre ; assister à leur corps à corps avec toutes les conséquences terrestres du Credo définitivement assimilé par leurs consciences, du vieux Credo nouveau pour eux ; et voir ainsi, par-dessus la mêlée des ultras et des libéraux, la pensée catholique allemande sortir, par un soudain détour, de cette impasse dans laquelle les polices de la Sainte-Alliance croyaient pouvoir emprisonner l’histoire : tel est l’objet des pages qui suivent.

Joseph Goerres avant tout, puis, à côté de lui, Schlegel, Haller, Adam Müller, représenteront, à des degrés différens, et chacun avec sa nature, cette originale contenance qu’affectait la pensée catholique. Examinant d’abord par quelles évolutions successives Goerres arriva du pur jacobinisme au pur catholicisme, nous retrouverons en lui, à toute époque, comme source de ses actions et même de ses opinions, la haine contre l’absolutisme ; et c’est précisément ce sentiment qui, l’ayant fait tour à tour s’insurger contre le Directoire, contre Napoléon, contre la Sainte-Alliance, le fera se prosterner devant l’Eglise romaine, organe du seul absolutisme qu’il accepte, celui de Dieu. Schlegel,