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homme supérieur par comparaison avec ses collègues : Leroux, courtier bavard, et Morel, employé de commerce. Klingler, capitaine au long cours, avait une nature si emportée, qu’elle l’avait empêché de réussir dans sa profession, et cet insuccès avait encore accru ses violences, qui étaient celles d’un fou. Ménard était un illettré, sans domicile fixe. De tous, le plus important était Etienne qui savait signer son nom, et, portefaix, connaissait les moyens d’agiter sa corporation.

Quand, le matin du 5, le Conseil municipal se réunit, il n’entendit pas se continuer autour de la mairie les acclamations de la veille. Il semblait que ses amis se reposassent de l’avoir soutenu. Sur le peuple qui entourait l’Hôtel de Ville les agitateurs avaient une autorité plus visible, et le Comité de Salut Public semblait par eux surveiller le Conseil. En même temps, le bruit se répandait que ce Comité de Salut Public avait donné ordre de prendre la Préfecture et que ses partisans étaient en marche.

Le Conseil eut aussitôt l’intelligence de ce qui se préparait et de ce qu’il fallait empêcher. Pour gagner de vitesse l’émeute, il envoya à la Préfecture trois de ses membres : deux négociateurs chargés de demander sa démission à Levert, et un administrateur chargé d’exercer le pouvoir vacant. Celui-ci était M. Labadié, riche marchand, de bonne réputation, de nature passionnée sous un air de douceur, capable de se tromper par inexpérience et par passion, de travailler au mal par inaptitude à embrasser dans leur ensemble et dans leur solidarité les garanties nécessaires de l’ordre, mais incapable d’intentions perverses, et assez courageux pour résister aux menaces brutales de la démagogie. Mais, en même temps que le Conseil travaille ainsi contre elle, il défait son propre ouvrage, en envoyant des délégués au Comité de Salut Public. Ils ont, il est vrai, pour mandat unique de demander à ce Comité ce qu’il veut : mais quand la légalité demande des explications à l’émeute, elle commence à lui céder. Le Comité de Salut Public ne l’ignorait pas, ni quel avantage il aurait à connaître aussi les desseins de l’autorité rivale, car il envoyait de son côté un émissaire et demandait à être admis au Conseil municipal. Celui-ci préféra la visite de neuf hommes à celle de la multitude qui s’agitait sur la place. Il accorda séance au Comité de Salut Public, sans que, de part ni d’autre, il eût été stipulé à quel titre. Mais, si le Conseil espérait que le Comité se bornerait à assister une fois à ses délibérations, le Comité venait