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pour obtenir de lui une suspension d’armes et la mise en liberté de Gaston Crémieux. Mais le général, refusant de recevoir la députation, avait fait répondre qu’exécuteur obéissant des ordres donnés par le ministre, il n’avait ni initiative, ni engagemens à prendre. Bien que dans cette déclaration beaucoup vissent une réserve menaçante, personne ne tenta de supprimer le péril en chassant le général. Les troupes qui gardaient son hôtel et se sentaient sous son regard, échappaient à la démoralisation, et, comme on les croyait résolues à se défendre, on ne songea pas à les attaquer.

Enfin, à six heures du soir, le mince fil qui joint Paris à Marseille transmit quelques signes sur une petite bande de papier, et ce papier annonçait la ruine d’un régime et l’avènement d’un autre. Aussitôt le maire Bory, jusque-là invisible, proclama la République à l’Hôtel de Ville, puis, escorté du Conseil municipal, sur les principales places de Marseille. Les cris et les chants s’élèvent dans chaque quartier et dans chaque demeure, car sur cette agitation est tombé le déclin du jour, et l’heure vient du souper, trêve imposée par la nature aux passions les plus vives des hommes. Puis dans l’autre trêve, celle de la nuit, la population encore remplit les grandes voies et descend vers le port, pour être près des rumeurs, mais elle ne songe plus qu’à apprendre les événemens, non à les faire. Elle a le sentiment d’une œuvre achevée : la République souhaitée par elle l’emporte à Paris, la municipalité élue par elle l’emporte à Marseille, et demain, les derniers fonctionnaires de l’Empire transmettront régulièrement leurs pouvoirs à leurs successeurs. Lasse de mouvement et d’émotion, elle se disperse dans le silence et le sommeil.


IV

Mais les meneurs révolutionnaires ne dormaient pas. Dans cette République, ils ne seraient rien : Marseille, qui les connaissait, n’avait pas voulu d’eux pour gouverner la ville ; le gouvernement, qui les ignorait, ne songerait pas à eux pour servir l’Etat. C’était trop peu que cette victoire de dupes. N’en pouvaient-ils remporter une plus profitable ? Si sur la population presque entière ils étaient sans influence, ils disposaient de quelques milliers d’hommes, d’hommes que des professions brutales et des caractères violens rendaient durs aux coups et redoutables