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n’ont pas connues jusqu’ici, et avec lesquelles il s’est lui-même trouvé aux prises. Plus il les obligera à s’éloigner de leur base d’opérations, qui est la mer, plus il les affaiblira. Ils devront pourvoir, à leur tour, au ravitaillement d’une armée qui opère au loin. Ils sont sans doute très capables de résoudre ce problème ; mais, comme nous l’avons déjà remarqué, ils sont lents, et les Russes profiteront de cette lenteur qui concorde avec leur propre intérêt de temporisation. S’ils les conduisent loin, les Japonais n’y arriveront pas de sitôt ; et, pendant ce temps, la mauvaise saison surviendra. Le froid est intense dans ces régions ; les Russes le supportent mieux que les Nippons. Tout cela peut amener un ralentissement de la guerre. Les Japonais font d’excellens soldats sur le champ de bataille ; ils ont une merveilleuse agilité et une impétuosité à laquelle il est difficile de résister ; mais, s’ils manquent leur effet, ils restent pendant quelque temps décontenancés et ne se ressaisissent pas du premier coup. Aussi ont-ils laissé échapper l’armée russe, et ne l’ont-ils poursuivie qu’assez mollement. Ils la retrouveront dans quelques semaines, ou dans quelques mois, plus nombreuse et plus redoutable.

Ce n’est pas sans tristesse qu’on voit cette guerre se prolonger, et nous comprenons ceux qui parlent prématurément d’une médiation des puissances, sans partager toutefois leurs espérances, ou plutôt leurs illusions. Le sang continuera de couler en Extrême-Orient. Mais n’avait-on pas prévu, dès le début, que cette guerre serait difficile et longue ? L’histoire militaire des Russes montre qu’ils débutent souvent par des revers, puis qu’ils finissent par l’emporter à force de ténacité ; et l’histoire militaire de toutes les nations européennes qui, dans ces dernières années, ont eu des expéditions à faire à des distances très considérables, comme nous-mêmes au Tonkin et à Madagascar, ou comme les Anglais au Transvaal, montre que, même avec un ennemi notoirement inférieur, le succès définitif est toujours lent à se déterminer. Les Russes ont trouvé devant eux un adversaire infiniment plus dangereux que tous ceux dont nous venons de parler : il n’est donc pas étonnant qu’ils aient trouvé aussi des difficultés infiniment plus grandes. Ils en ont rencontré encore, pourquoi ne pas le dire ? dans les défauts de leur organisation, et même de leur gouvernement. Mais rien ne les décourage, et, le lendemain d’une bataille perdue ils ne songent qu’à la revanche.


La grève de Marseille, que nous avons signalée au moment où elle venait d’éclater, se poursuit, sans qu’il soit encore possible d’en pres-