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extraordinaire, un aventurier de Paphlagonie, eunuque, demeuré célèbre dans l’histoire sous le nom de Jean l’Orphanotrophe.

Cet homme avait débuté auprès de Romain Argyros dans les emplois les plus infimes. Celui-ci, arrivé au trône, l’avait nommé d’abord directeur du grand orphelinat impérial de Constantinople, d’où son nom de grand Orphanotrophe, puis, le comblant de ses faveurs, il en avait fait le président de son conseil. L’eunuque Jean dirigeait l’empire en grand ministre, au nom d’Argyre. Ce parvenu, politique de premier ordre, gouvernant sans scrupule, avait une qualité touchante. Il adorait les siens : quatre frères issus comme lui de la lie du peuple, dont deux avaient été même quelque peu faux monnayeurs. Grâce à sa toute-puissance, il avait fait de trois d’entre eux les plus hauts personnages de l’Empire. Le quatrième, nommé Michel, était un jouvenceau de figure charmante. L’Orphanotrophe, afin de conserver le pouvoir dans sa famille, le poussa dans la couche de la vieille basilissa qui, tout de suite, aima follement l’éphèbe. Romain Argyros ne vit rien. Ou plutôt il ne voulut rien voir, heureux de penser que son amoureuse épouse était occupée ailleurs. Seulement, comme il tardait trop à mourir, les deux amans le firent noyer par ses eunuques, alors qu’il prenait un bain dans la piscine du Grand Palais. Cette même nuit, Zoé faisait mander le vieux patriarche et le forçait de la marier sur l’heure avec son jeune amant, qui fut aussitôt couronné basileus dans Sainte-Sophie.

L’aventurier de bas étage devenait le basileus Michel IV, connu dans l’histoire sous le nom du Paphlagonien. Or, ce parvenu, devenu empereur par le crime, n’était pas un prince sans valeur. Appuyé sur son frère l’Orphanotrophe, il commença à gouverner avec vigueur. Avec un cynisme parfait, à peine couronné, il relégua Zoé au gynécée. Elle tenta de résister, mais fut vaincue dans sa lutte contre ces deux hommes. Le règne du Paphlagonien ne fut pas sans éclat. Déjà presque mourant, il comprima en personne une terrible révolte de la nation bulgare. Malheureusement ce souverain remarquable était atteint, bien que tout jeune encore, de deux maladies affreuses, l’épilepsie. et une monstrueuse hydropisie. Son frère l’Orphanotrophe, le voyant moribond, ne pouvait toutefois se décider à abandonner le pouvoir. Cet homme avisé eut l’habileté de trouver dans leur famille même un nouveau successeur à l’Empire. Lui