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fougue est gênée par la mélancolie. Le vocabulaire est scientifique, technique ; du moins, il l’était beaucoup et trop parfois. Graduellement, le style de l’ouvrier autodidacte et sociologue s’est allégé d’une terminologie spéciale et a pris un ton posé, simple et recueilli. L’appel frémissant est toujours prêt ; mais il se laisse contenir. Les impressions de l’expérience ont assoupli cette langue originale ; et elles la modifieront encore ; car M. Deherme n’a pas quarante ans. Pas plus qu’il n’a ambitionné de savoir uniquement pour savoir, il ne s’est d’ailleurs exercé à écrire en vue du seul plaisir d’écrire. Les idées qu’il a voulu grouper « en coopération, » il entend leur donner une influence positive et sociale ; et il est possédé de la passion de les faire servir à une œuvre, à une œuvre immense :

« On a voulu faire de la sociologie une science particulière. C’est en méconnaître le fonds, c’est briser le lien universel, c’est nier l’évolution. On a tenté de la faire contenir dans la science économique. D’autres esprits, fort distingués d’ailleurs, se sont complu au jeu puéril des métaphores biologiques…

« La sociologie est l’aboutissant de toutes les formes de savoir. Celles-ci en attendent leur synthèse, et c’est dans cette synthèse même qu’elles trouveront leur raison d’être. La sociologie, c’est la science voulue, organisée, logique, consciente, — c’est la science et la conscience de l’humanité… La vérité sociale ne peut être que le bien social…

« La sociologie seule peut assurer ainsi la convergence des esprits. Elle est la foi, elle est la raison, elle est la science.

« L’heure est prochaine où toutes les manifestations humaines — sentimens, idées, croyances — seront sociologiques… Les forces sociologiques se heurtaient, s’annihilaient dans le chaos de l’inconscient et du dogmatisme : elles vont s’organiser, s’harmoniser. L’âme des peuples va s’épanouir et rayonner sur le monde nouveau.

« Les temps héroïques ne sont pas finis : ils commencent. »

On devine qu’envers l’étroite arrogance du socialisme contemporain et envers le collectivisme, M. Deherme n’a pas dû se montrer moins catégorique et moins hostile qu’à l’égard de la manie scientifique et de l’illusion scolaire :

« Le socialisme n’a pu donner un aliment à la conscience, équilibrer les âmes, remplir les cieux, dénouer le drame de la raison et du sentiment. Et, par son fatalisme économique et son