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première. De plus jeunes lui succédèrent et elle fut éclipsée. L’Exposition de Sienne aura été utile, si elle a corrigé l’erreur de l’opinion sur cet art admirable, en lui rendant sa place indépendante dans l’histoire, écrite autrefois par Florence avec peu de bonne foi. Florence a fait longtemps régner son goût pour le naturalisme et sa passion du récit. Sienne a toujours dédaigné l’un, et a réussi médiocrement dans l’autre : à tout elle préféra son rêve. Sans doute elle finit par s’y perdre. Du moins ne s’est-elle pas déshonorée par cet excès de terre à terre qui fait horreur dans les ouvrages d’un Castagno, d’un Uccello, et qui rebute encore chez de meilleurs maîtres comme les Pollaiuoli. Elle n’a pas borné son idéal à une mesure si positive. Quant à l’expression du mouvement et du drame, est-ce un crime d’y avoir échoué ? Le sujet, le fait, l’anecdote sont pour l’art des causes de ruine. « Le grand art, écrit Fromentin, pense, rêve, sent, exprime ; il agit et raconte peu. » C’est l’honneur de Sienne d’avoir été, avant Venise, la grande école lyrique d’Italie.

… La ville aux trois collines souffrait sur sa hauteur du manque de l’eau dont Florence au contraire était pourvue en abondance. Une légende assurait qu’un fleuve souterrain coulait sous l’épaisseur de sa montagne. Sienne enfouit des sommes immenses en excavations, pour faire jaillir du roc l’insaisissable source. On montre encore, dans une cour de l’ancien monastère des Carmes, le large puits de brique par où l’on espérait la capter. Dante raille d’un trait cruel cette folle confiance. Mais Sienne cessa d’exister le jour où elle renonça à chercher dans ses profondeurs la mystérieuse Diana. On l’a dit avec éloquence : elle avait résisté aux guerres, aux factions, aux défaites, à l’anarchie. Elle ne put résister à un changement d’Idéal.


LOUIS GILLET.