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n’a montré la gorge ni les pieds d’une femme. Son imagination est du même ordre que celle des dévotes qui préparent les reposoirs. Ses anges couronnés de roses sont de simples enfans de chœur des processions de la Fête-Dieu ; mais ce sont aussi les modèles des plus beaux anges qui existent, les anges ombriens de Benedetto Bonfigli. Le petit Jésus qui bénit sur les genoux de la Madone ressemble, dans sa chemise ou dans ses langes, au Bambino de cire des crèches ; mais ne sait-on pas que saint François d’Assise l’a vu s’animer sur sa paille et sourire, une nuit de Noël qu’il prêchait aux paysans assemblés, dans une forêt de la vallée de la Greccia ?

Parmi les derniers artistes originaux de Sienne, le seul grand peintre est Matteo di Giovanni. Vasari ne le nomme point ; de sa vie on sait peu de chose ; son œuvre est peu considérable. Ce maître assez mystérieux n’en est pas moins un fort grand maître. L’école semble, avant de mourir, avoir voulu se donner la joie de voir revivre un autre Simone. Des éclairs de sang traversent par instans la pensée de ce doux génie. Il voit passer avec des cris « les mères échevelées, portant sur leur tête un berceau, serrant dans leurs bras un enfant, en traînant un autre à la main, fuyant avec leurs petits effrayés, offrant un spectacle à fendre l’âme. » Ce sont les termes d’un chroniqueur relatant les horreurs d’une révolution à Sienne. Quatre fois l’affreuse vision se représente aux yeux du peintre, qui la reproduit quatre fois sous les traits du Massacre des Innocents. L’Exposition en offre un des plus beaux exemplaires. C’est une peinture farouche de l’angoisse et du carnage. La violence des émotions paralyse les acteurs. Cette foule hurlante de désespoir et de terreur se débat sans issue dans un cadre étouffant, comme dans une épouvantable toile d’araignée. Hérode domine la scène avec son museau fourbe et féroce d’hyène couronnée. La douleur est ici grimaçante, hystérique. Et pourtant la conviction du peintre est si évidente, sa bonne foi si douloureuse, l’exécution si appliquée qu’on s’arrache avec peine à ce rêve pénible. Enfin le cauchemar se dissipe, et le peintre reprend le fil du songe adorable de Sienne. Cette partie la plus exquise de son œuvre n’est pas représentée à l’Exposition. Mais les églises de la ville nous ménagent le plaisir de visiter quelques chefs-d’œuvre placés encore sur les autels pour lesquels ils ont été faits.

Le plus connu est son tableau de San Domenico, où, sous