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pour enseigner aux hommes ignorans et sans lettres les choses miraculeuses opérées par la foi. » Puis, « pour ce que nulle chose, si médiocre soit-elle, ne saurait recevoir commencement ni fin, sans ces trois conditions : le savoir, le pouvoir et le vouloir joint à l’amour, » le texte s’achève par une prière.

Au XVe siècle encore, tous sont de bons chrétiens, secourent les malades, visitent les misérables. Leurs mœurs sont pures. Nul exemple chez eux de ces débordemens scandaleux si communs parmi les peintres de Florence, et qui ont fait regarder le désordre, l’effrénement des appétits, l’assassinat lui-même, comme des marques de la force de l’individu et les conditions de la Renaissance. On parle de Sano di Pietro comme d’un bon peintre, mais surtout comme d’un homme qui vivait tout en Dieu. Matteo di Giovanni s’enrôle dans une société d’infirmiers, qui choisissent pour camerlingue ce confrère plein de ferveur. Vecchietta peint dévotement les volets de l’armoire au linge de l’hôpital de la Scala, et regarde comme une faveur d’y doter une chapelle, où il consacre ses dernières années à peindre, non pour éterniser son nom, « mais pour assurer à son âme le bienfait des prières des pauvres. »

En ces âmes charmantes se continue le songe opiniâtre de la Cité mystique. Ces peintres sont les gardiens des rêves de leur peuple. Une disposition singulière de leurs statuts défend à tout peintre étranger le séjour de la ville, à moins de l’acquittement d’un droit qui est, en fait, une prohibition. Aucune nouveauté ne doit avoir accès dans le Paradis enchanté dont leurs âmes sont prisonnières. Les fidèles ne l’eussent pas soufferte. Comment la fille pieuse qui commandait à Sano di Pietro une peinture « pour l’âme de son père et de sa mère, » eût-elle permis à l’artiste d’y défigurer sur leurs tombes les idées dont ils avaient vécu ? L’art qui touche au culte est prompt à s’immobiliser : il en emprunte un caractère sacré. On l’appelle alors hiératique. Il est sans exemple qu’un tableau moderne ait opéré des prodiges : toutes les images miraculeuses sont des ruines enfumées. On serait curieux de savoir ce qu’était cette Vierge peinte en 1310 sur une porte de Sienne, à laquelle saint Bernardin, ayant l’âge où l’on aime, allait chaque jour faire sa cour, et qu’il nommait sa bien-aimée. Beaucoup plus tard encore, il ne pouvait se figurer la Mère de Dieu sous d’autres traits ; et lorsque, prêchant aux Siennois sur l’Assomption, il voudra leur en faire éclater