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admirables, où chaque croupe de montagne se dessine si distinctement qu’elle semble repoussée au marteau dans du cuivre…


V

Telle est, au milieu du XIVe siècle, la grandeur de l’école siennoise. Elle rogne d’un bout à l’autre de l’Italie. On fait venir ses peintres jusqu’à Naples. Depuis la mort de Giotto, Florence n’a plus d’égal à opposer à ses maîtres, et se met à les imiter. C’est alors qu’une série de revers et de bouleversemens : la peste, la chute des Neuf, quatre révolutions en quatre mois, les proscriptions, les troubles et les ruines qui suivirent, paralysent pour toujours les destinées de l’école. Peut-être aussi n’y a-t-il là qu’une rencontre frappante. Peut-être, après cet âge d’efforts splendides, ne restait-il plus qu’à décroître. Il ne semble pas que Simone, ni les Lorenzetti aient laissé d’élèves dignes d’eux. Barna, artiste véritable, tombe d’un échafaudage, et se tue à trente ans. Bartolo di Fredi n’a qu’un talent vulgaire. Ni le grand nombre d’ouvrages de son élève Taddeo, ni même son importance comme fondateur de l’école ombrienne, ne peuvent faire illusion sur sa médiocrité.

Ce qui rend l’effacement de Sienne si sensible, c’est qu’elle s’endort au moment où, dans l’Italie entière, éclate un prodigieux réveil. Coup sur coup, de chacune des villes de l’Ombrie, Gubbio, Fabriano, Pérouse, surgit un grand artiste ; Pérugin est proche, et il sera le maître de Raphaël. Mais nulle part la nouvelle ère ne s’annonce plus radieuse qu’à Florence. Cette ville produit seule autant de grands hommes que toutes les autres ensemble. Elle prodigue le génie. Elle est la fournaise où se forgent les méthodes et le style de la Renaissance. Sienne se tient à l’écart de ce monde en fusion. Elle s’exile elle-même de ce qui sera l’avenir. Quand tout change autour d’elle, ses artistes demeurent les mêmes. Ils s’enferment étroitement dans leur cité, sur leurs collines, avec leur passé et leur idéal. Leurs ouvrages ont un air d’autrefois : sans la date et la signature, on les croirait de l’autre siècle. L’école se byzantinise. Le fait est assez singulier pour retenir un moment l’attention.

Il surprend davantage encore, si l’on songe qu’à Sienne même vient de naître un des plus éclatans génies de l’Italie, le sculpteur Jacopo della Quercia. C’est un des résultats les plus