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choc eut lieu le 4 septembre 1260, dans la vallée de l’Arbia, au pied des hauteurs de Montaperti. On se battit depuis le matin jusqu’au soir. Florence fut anéantie. Le soleil couchant aveuglait ses soldats. Au même instant les Siennois firent donner leur cavalerie de réserve. Du haut d’une des tours de Sienne, le tambour de ville suivait les péripéties du combat, le flux et le reflux des armées, et criait les nouvelles aux femmes en prières sur la Place, annonçant chaque progrès des leurs par de rapides roulemens. Tout ce qui ne put fuir, se rendit. Une vivandière siennoise fit de ses mains trente-six prisonniers « qui allaient derrière elle comme les poussins derrière une poule. »

Alors commence pour Sienne un siècle d’une grandeur inouïe. C’est un épanouissement subit, splendide, irrésistible. Elle éprouve une ivresse, semblable à celle de l’adolescence. Elle se découvre des sens inconnus. La vieille cité du moyen âge dépouille son vêtement vermoulu de masures, ses noires maisons de bois, et se reconstruit tout à coup de briques et de pierres. Elle fait spontanément de l’art, comme les jeunes gens font des vers. Six ans après son triomphe, elle inaugure dans sa cathédrale la chaire éblouissante de Nicolas de Pise, cette cuve de marbre où fermentent et bouillonnent tous les principes de vie du siècle, les deux Renaissances gothique et classique, le double génie du Nord et du Midi. Jean de Pise, fils de Nicolas, est pendant trente ans chef des travaux de la cathédrale. L’école de sculpteurs siennois qui se forme sous ces deux maîtres couvre l’Italie de chefs-d’œuvre : vingt monumens, à Pise, à Arezzo, à Naples, n’épuisent pas cette activité, dont le plus bel ouvrage demeure la façade du Dôme d’Orvieto, le seul portail italien qu’on puisse comparer à ceux de Chartres, d’Amiens, de Bourges, de Paris.

Restait à exprimer cette vie dans la peinture, art toujours plus tardif et de maturité plus délicate. Ce fut l’œuvre de Duccio di Buoninsegna. Sienne salua avec transport l’avènement de ce maître vraiment national. Le jour où apparut son chef-d’œuvre, que Sienne conserve encore, ce fut une fcte publique. C’était le 9 juin 1311. Les boutiques fermèrent. Toutes les cloches sonnèrent. L’évêque, le clergé, les moines, tout le gouvernement, les magistrats, les Neuf, le peuple entier avec des cierges allumés, escortèrent solennellement le tableau jusqu’au Dôme, suivis des enfans et des femmes. Le reste de la journée se passa en oraisons et en aumônes.